C'est l'heure du point de croix

Même si on nous apprend à limiter les risques, c’est compliqué d’aller au-devant du danger pour sauver les autres sans s’exposer soi-même. C’est une réalité avec laquelle on compose tous les jours parce que c’est ca, aussi, d’être pompier. Aujourd’hui c’est moi qui en faisais les frais. Avec la pluie de cette fin d’hiver qui ne cessait de tomber, il y avait eu un grave accident. Sortir les victimes des véhicules nous avaient pris une bonne partie de la nuit. C’est dans une des dernières que nous étions tombées sur un des blessés très agités et nerveux, surement sous substance. Quand on avait enfin pu arracher la portière pour le libéré, il avait bondi sur une collègue, manquant de la planter avec un morceau de verre du parebrise ramassé au sol. J’avais réussi a le maitriser avant le drame, ca m’avait couté une belle entaille dans l’avant-bras et une morsure non loin. C’est sédaté et menotté qu’il avait été évacué avec une escorte policière. Même si cela m’agaçait, j’avais du me résigner a aller avec eux dans l’ambulance : les équipes médicales sur place étant saturé, c’est à l’hôpital qu’il faudra me recoudre.

C’est donc comme cela que je me retrouve en tenue de pompier, trempé par la pluie et épuisé de ma nuit, dans la salle d’attente bondée des urgences, compressant ma plaie a l’avant-bras avec un linge propre. J’amuse un enfant stressé et sa maman qui attendent avec moi, parle un peu avec tout le monde en gardant le sourire et en laissant passer avant moi la plupart des gens. Je les estime prioritaires. La dame de l’accueil vient me voir en me disant qu’ils ont appelé du rang fort pour aider dans le service et en me remerciant de ce que je fais. Moi, je vois surtout que je mets de la flotte partout. J’arrive a la faire rire et j’ai même le droit a une sucette à a la fraise pour la peine. Avec un soupire, un peu fatigué de cette journée mouvementée, la sucette dans la bouche, je pose ma tête en arrière contre le mur et ferme un peu les yeux pour les reposer en attendant sagement mon tour.

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ANAPHORE

Est-ce que je me suis assoupi ? Oui très certainement. C’est aussi un des piliers de la vie des pompiers, savoir grappiller du sommeil partout ou c’est possible. Pendant les gardes, entre les alertes, il faut savoir récupérer, même quand tout s’enchaine. Je bougonne presque en sentant une main frôler la mienne et ouvre un œil en avisant qu’une infirmière plus qu’avenante est en train de m’appeler. Évidemment, il ne m’en faut pas plus pour sourire, malgré la sucette dans ma bouche et la fatigue. Je retire la sucrerie d’entre mes lèvres pour lui parler, non sans un clin d’œil.

« Si j’avais su que les infirmières étaient aussi jolies par ici, je me serais blessé bien avant… vous pouvez m’appeler Roman, ca sonne mieux que M Carlyle.»

Quand je veux me redresser, la douleur qui m’irradie le bras et la raideur de mes muscles du a l’humidité de mes vêtements, me rappellent a l’ordre. Je grogne mais arrive a me mettre debout. Il en faudra plus pour me mettre au tapis. Même si j’ai la tête qui tourne, j’arrive encore a plaisanter.

« Pas de panique, je n’ai toujours pas de symptômes de transformation en Zombie malgré la morsure. Ca me parait bon signe, après, si vous estimez qu’il faut me garder en observation, promis, je ne me débattrais pas trop si c’est avec vous… »

Je ris de ma bêtise. Ce n’est pas la première fois que je me fais mordre par un forcené, mais ca ne reste pas une expérience des plus agréable. Je fronce les sourcils en sentant mon téléphone dans ma poche. Je me retrouve avec la sucette dans une main, le téléphone dans l’autre mais ca ne m’empêche pas de pester en découvrant le nombre d’appel en absence de Carmelo. Merde. Je lui ai laissé un SMS, avant de piquer du nez, pour le prévenir que je ne pourrais pas passer le prendre a la sortie de son boulot pour le ramener a la maison. Je précise que je ne sais pas quand je rentrerais et qu’il doit penser à sortir le chien tout en ajoutant que je suis a l’hôpital ?

« Excusez moi, j’ai mon coloc qui est en panique a cause de l’accident, je lui fais un sms et je suis tout a vous… »


Je pianote un message pour lui dire que ca va, que je vais être pris en charge, qu’il ne s’inquiète pas avant d’éteindre mon téléphone par respect pour le lieu ou je suis et me tourner vers la jeune femme. Le visage creuser par l’épuisement, le froid et la douleur, je prends quand même la peine de jouer au faux dramaturge.


« Et voila Mademoiselle, je suis tout a vous, pour le meilleur et pour le pire… et promis je serais sage. »

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ANAPHORE

Est-ce que je la vois se fermer lorsque je la complimente comme toutes les jolies femmes ? Peut être. Est-ce que ca peut m’arrêter d’être moi-même ? Pas sûr. Surtout pas dans un moment comme celui-ci. En attendant je pouffe comme un gosse a sa promesse de me terminer en cas de transformation en mort vivant.

« C’est rassurant de voir que j’ai affaire a une professionnelle. »

Même si je donne le change, avec l’œil pétillant de cette malice un peu puérile, qui fait qu’on me donne souvent moins que mon âge, je sens bien que mon corps me donne des signaux d’alerte. Je suis de garde depuis plus de 24h et la dernière intervention était très physique : sortir des gens des carcasses de voitures est loin d’être de tout repos. Au moins, avais-je eu, malgré tout, le réflexe d’intervenir pour éviter le pire a ma collègue, sauf que cette blessure n'a rien arrangé a mon état. Je suis assez rodé dans les interventions pour me douter souffrir de la perte de sang et d’une légère hypothermie. C’était surement stupide de laisser tout le monde passer devant moi mais je n’imagine pas un univers ou j’aurais fait autrement, encore plus en portant la tenue des pompiers de NY. C’est dans ma nature, on ne me changera pas.

De la même façon, alors que la jeune femme reste très professionnelle et que je sais que je devrais caller ma conduite sur la sienne, mais c’est presque instinctif chez moi de rester « léger ». En particulier quand elle me tend serviette et la fameuse blouse « a aération arrière » avant que j’aille dans le fameux box. Je me demande si c’est voulu ou pas de me faire traverser les couloir les fesses a l’air mais il m’en faut plus pour gâcher mon éternel bon humeur. Je lui fais un clin d’œil sans manquer de souligner en riant :

« Si vous vouliez me voir me déshabiller, il aurait fallu me le demander plus simplement. Au moins, si vous vous demandiez comment j’ai été mordu, vous aurez une ébauche de réponse : c’est soit mon corps d’Apollon, soit mon humour qui donne des envies de meurtre. »

La pudeur, c’est un concept que j’avais vite appris a perdre. Déjà, je ne suis pas du genre a être complexé de mon corps, ensuite, la vie a la caserne fait que nous n’avons pas souvent le luxe d’avoir de l’intimité dans les douches ou les dortoirs. Ca ne m’a jamais dérangé. Plus part respect pour elle que pour être chose, je me tourne et commence a retirer mon lourd manteau et tous les vêtements gorgées d’eau avant de m’essuyer.

« D’ailleurs, je ne vous ai pas demandé votre nom ? »

La tête me tourne légèrement mais je me contente de grogner quand le tissu frôle le pansement de fortune. Faute de pouvoir plier mon bras impossible de fermer la blouse, ca commence bien. L’entaille me lance sacrement et je redoute un début d’inflammation du fait que j’ai trop trainé. Je passe ma main sur mon front le trouvant légèrement chaud, ca ne me plait pas.


« Je vais peut etre avoir besoin d’aide pour le fermoir dans le dos… »

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ANAPHORE

Carmelo n’était pas un familier des hôpitaux. Même s’il avait déjà pris quelques roustes monumentales il avait préféré se soigner chez lui à coup de fond de bouteille de vodka. C’était dégueu mais ça au moins il savait les avaler alors que les cachetons y avait jamais eu moyen. Il n’était pas non plus un grand aficionado des piqûres. Disons que s’il pouvait s’en passer, il le faisait volontiers. Du coup, sa connaissance de l’hôpital se bornait au fait de parfois passer devant, d’entendre des sirènes d’ambulance, de regarder une vieille série miteuse à la télé ou d’entendre Roman lui raconter une anecdote à ce sujet. Il aimait bien les anecdotes avec les infirmières et son pote savait bien les raconter celles-là !

Mais bref, s’il venait de se garer comme un manche dans le parking de l’hôpital là, c’est parce que Roman était un gros con qui lui envoyait à l’arrache des sms et ne répondait ensuite plus jamais lorsque lui-même essayait de le joindre ! Comment ça il était à l’hosto ? Comment ça il ne lui répondait plus ?

C’est donc une boule de nerfs qui entre dans le service des urgences de l’hôpital. Il demande Roman Carlyle… Et on lui demande qui il est. De toute évidence fallait être de la famille ou un pompier pour voir SON pote et là il commence à se vénère sérieusement, beuglant en commençant à ouvrir toutes les salles :

« Je suis son putain de frère jumeau, ça se voit pas ? Vous avez pas l’impression de voir votre patient déambuler dans les couloirs là ? »

On menace d’appeler la sécurité et Carmelo s’en fout, tombant de toute façon finalement sur Roman, tout sourire pour une belle… Infirmière, médecin, ce que vous voulez qui lui faisait des compliments.

« Espèce de gros con ! J’espérais que tu sois en train de crever pour justifier de me foutre les boules comme ça ?! »

Il avait eu peur ok ? Roman faisait un métier pas facile, bourré de risques… Et la dernière chose qu’il voulait c’était d’apprendre qu’il avait un VRAI problème sur un sms de merde. L’italien entre davantage dans la pièce pour s’approcher du « grand malade » un peu comme la sécu arrive justement.

« Dis-leur que je suis ton frère, on gagnera du temps. »

Et tout en remarquant la tenue pas loin qui détrempait le sol, il soulève la couverture.

« Mais t’es à poil là-dessous ? »

Il la baisse à nouveau, observant la femme devant eux, railleur et encore un peu énervé :

« S’il vous à dit qu’il avait mal sur les parties, massez pas hein. Amputez direct. »

Carmelo avise quand même le bras qui a l’air blessé. Et la grosse trace de dents sur le bras.

« La vache, heureusement qu’elle a préféré te suçoter le bras plutôt que la queue hein… »

Carmelo, dans toute sa délicatesse et sa discrétion. Et pour dédramatiser :

« T'as revu Gabriela c'est ça ? »

Mais une ride du soucis revient sur son visage alors qu'il en revient à la femme près d'eux :

« Mais pourquoi vous l’avez mis à poil dans un lit pour ça ? Il rentre pas à la maison ? »

Y avait autre chose… ?

Je me laisse faire quand elle finalise de fermer ma blouse. Impossible de rester sérieux les fesses à l’air malgré ma tête qui tourne un peu trop :

« Comme tenue de soirée, j’avoue, j’ai connu mieux et je ne parle pas que de la couleur. »

Je sens bien que ses mains semblent fraiches sur ma peau, ce n’est pas bon signe, mais je ne suis pas du genre à m’alerter avant l’heure surtout qu’elle a l’air de savoir ce qu’elle fait sans avoir a attendre un passage de médecin, personnellement, ca m’arrange. Dans tous les cas, je découvre que j’ai besoin de son aide pour m’allonger, même si ça m’agace d’être dans cet état de faiblesse, sourire est dans ma nature :

« Je crois que vous me faites un peu trop tourner la tête Melle Scott.. »

Je ne peux qu’acquiescer quand elle m’explique ce que j’avais déjà deviné pour la suite. Je me laisse poser la perf et me contente de grimacer quand elle enlève le bandage plein de sang coagulé. Une fois de plus, j’arrive a plaisanter, même si c’est avec une voix rendue un peu pâteuse par la fatigue :

« Ces gens qui ne se brossent pas les dents ou ne stérilisent pas leur lame avant une agression, c’est scandaleux. »

Je pose ma tête un peu mieux sur l’oreiller, réprimant un frisson plus dû à la montée de fièvre qu’a la ma morsure de la fine aiguille de l’infirmière.

« Ne soyez pas désolée, je pense que la personne n’était plus elle-même et j’ai la chance de travailler avec une super équipe. C’est ma responsabilité de m’assurer que les miens reviennent sains et saufs de leurs interventions… »

Je suis interrompu par l’arrivée de Carmelo. Malgré sa façon inimitable de soigner ses entrées, j’arrive a quand même a deviner son inquiétude sous ses insultes. Évidemment, comme a son habitude, entrer en scène en toute discrétion et sans s’être attirer de problèmes n’était pas dans les options. Je soupire avant de m’adresser a la sécurité qui le suit :


« Excusez mon frère, j’ai été un gros nul pour le prévenir que j’allais a l’hosto… »


Ils hésitent d’autant plus que je Carmelo va jusque a soulever le drap ce qui me force a grogner avec cette patience que je suis obligé d’avoir avec lui :

« T’as fini oui ? »

Je lève mais arrive a sourire a sa pique pour Gabriela. Je lève les yeux au ciel quand il continue. Ok, je l’ai un peu mérité mais je ne me sens pas en état de rire ou lui renvoyer la balle. Mon ton est épuisé a cause de mon état, pour autant, je tente de le rassurer car je pense comprendre pourquoi il est dans un tel état :

« Hey ! Carmelo ! Tout va bien. Je suis désolé pour le sms, j’ai piqué du nez après. Par contre, dis-moi que t’a sorti Junior avant de venir…»

Je sens que je ne vais pas aimer la réponse, mais ça ne sera rien a côté du ressenti de notre moquette ou du canapé, peut être même les deux. Je tourne la tête vers l’infirmière pour ajouter :

« Melle Scott, je vous présente Carmelo, dont le frère est un idiot qui a mal géré la communication . Vous verrez vite que je ne suis pas le plus pénible de notre famille. Carmelo, voici Melle Scott qui a la gentillesse de me rafistoler… »

Je laisse a la jeune femme le soin de répondre sur ma potentielle sortie dès ce soir ou finir de gérer la sécurité qui semble l’interroger du regard quant a la suite pour Carmelo.

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ANAPHORE

Carmelo n’avait pas fait grande attention à l’attitude de l’infirmière et son côté « bouclier humain ». Elle n’était pas Gandalf et lui n’était pas le Balrog. Du coup y avait assez peu de chance que ça aille au clash direct. Et puis il était habitué à cette attitude. Roman c’était le Lancelot de toute les personnes fragiles de leur quartier, à peu de chose près. Parfois il blaguait en lui demandant de mettre son blouson sur une flaque d’eau pour qu’il puisse traverser sans se mouiller les pieds. Bizarrement néanmoins quand c’était lui, il se méritait plutôt un doigt d’honneur !

La cowgirl fait son petit show avec la sécurité qui n’avait pas l’air de se satisfaire que de la réponse de Roman, pourtant limpide. Est-ce qu’il avait l’air apeuré ou traumatisé là ? Carmelo lui donnerait plutôt l’envie de se la jouer piteux, comme quand Roman Junior soulageait sa vessie défaillante sur les cousins du canapé. Avec ses grands yeux tristes et… Enfin… Son œil triste, leur chien étant un cyclope à ce stade… Et ses oreilles basses. Ça il avait les deux.

Et justement, en parlant de junior…

« Tu crois que je suis entré dans la maison en plus ? J’ai juste pris ma bagnole et je suis venu. »

Si « Mlle Scott » avait la gentillesse de le rafistoler, elle n’avait pas celle de comprendre qu’il s’était VRAIMENT inquiété. A croire qu’elle n’avait jamais eu de patient avec de la famille ou des amis qui pensent à eux. Enfin bien sûr elle lui fait son petit laïus super pro et tout… Mais Carmelo, il était pas trop trop réceptif aux personnalités un peu « dominantes » qui avait tendance à lui faire la leçon de manière mécanique avant de lui dire de s’assoir et de la boucler.

Carmelo se retourne du coup vers Roman, demandant à voix basse :

« Je peux la dépouiller elle ? »

Elle lui donnait très envie d’aller revendre sa montre ou n’importe quoi qu’elle pouvait avoir sur elle au premier coin de rue. En tout cas Carmelo va s’assoir quand même sur la chaise désignée, observant l’infirmière qui en revient à Roman. Deux conversations, deux ambiances hein ! Carmelo avance ses jambes… Puis dans un bruit de chaise assourdissant rapproche cette dernière sans en lever les fesses.

« Pourquoi elle te parle comme si t’as trois ans ou qu’elle espérait un rencard ? »

Non il n’allait pas se faire une amie, et alors ? Tandis qu’ils détournent à nouveau les yeux de lui, Carmelo recommence son petit manège. Les pieds d’abord… Et de ramener la chaise jusqu’à eux dans un bon bruit de vieille chaise. Et si Ella se sent prête à lui sauter dessus « elle-même » pour le faire sortir :

« Si vous me toucher, je jure que je tombe au sol et que je hurle que vous m’avez agressé. »

Et si jamais :

« Demandez à Roman, je suis imbattable quand je dois convaincre de ce genre de chose. »

Il était très très fort à ce petit jeu. Alors elle allait devoir faire avec l’idée qu’il avait besoin de s’approcher de son pote !