Antonio Trevino - i'll be whatever you want me to be

1993 - Je vois le jour le 18 juin 1993, au terme d'une grossesse assez chargée en émotions, disons. Mes parents ne se connaissaient pas depuis si longtemps, la grossesse de ma mère était celle qu'elle était : un accident. Malgré tout, tous les deux ont décidé de me garder, mais mon père n'a accepté qu'à une seule condition, que je sois élevé loin de New York. Ma mère, Luana, n'a pas hésité bien longtemps avant d'accepter. Elle ne connaissait pas tout des raisons poussant mon père à prendre cette décision, mais sa volonté d'avoir un enfant avait pris le dessus et, si mon père disait que j'aurais une meilleure éducation ailleurs, pourquoi refuser ? Elle n'était même pas enceinte de trois mois quand elle est partie pour Austin, au Texas. Grossesse chargée et pas évidente, motivée par une grande quantité de rendez-vous médicaux, tout ça parce que le risque de fausse couche était trop élevé. Malgré tout, j'ai vu le jour sans la moindre difficulté et, surtout, sans être un prématuré. Mon père n'a pas pu être présent ce jour-là, mais il est arrivé très rapidement après.

1993 - 2000 (0 à 7 ans) - Enfance joyeuse mais, malgré tout, difficile. Il n'a pas fallu bien longtemps avant que ma mère devienne la femme de ma vie, j'étais encore un gamin à l'époque. Mais j'avais besoin d'une figure paternelle et, plus précisément, j'avais besoin de mon père. Il était là, mais seulement de temps en temps. Sa vie était à New York, on était au fin fond du Texas. Je ne pouvais pas me plaindre, je  ne manquais pas de grand chose, il faisait toujours en sorte que je sois heureux, lui aussi. Mais à la différence de ma mère, ce n'était pas constant, ce n'était qu'épisodique et, par conséquent, ce n'était absolument pas suffisant. Sans grande surprise, on peut donc dire que j'ai grandi avec un manque, un grand manque. J'avais déjà des difficultés au niveau scolaire, manquant d'intérêt en cours, et ce dès le plus jeune âge. Malgré tout, je n'étais pas un élément perturbateur, j'étais plutôt "dans la lune", si on peut le dire ainsi. Mes résultats n'ont jamais été ni bons ni excellents mais, par chance, mes capacités intellectuelles m'ont permis de ne pas trop plonger au niveau de mes notes et, surtout, de ne pas me retrouver à devoir redoubler. Au niveau relationnel, disons que ça se solde par un succès. Pas nécessairement avenant mais malgré tout sociable, j'arrive à rejoindre un groupe de plusieurs enfants, me retrouvant rapidement avec des amis.

2000 - 2005 (7 à 12 ans) - J'étais bien trop jeune quand j'ai commencé à avoir des doutes sur mon père, j'en suis encore convaincu aujourd'hui. J'avais pas prévu de le surprendre en pleine conversation téléphonique mais, alors qu'il était au Texas avec nous, j'étais allé le voir dans une autre pièce pour savoir si on pourrait jouer. J'y étais allé en me doutant qu'il refuserait, qu'il me dirait de faire mes devoirs plus tôt, mais je ne m'étais pas attendu à le trouver au téléphone. C'était pas bien grave, techniquement, si ce n'était pour les mots italiens qui sortaient d'entre ses lèvres. Encore aujourd'hui, je ne sais pas pourquoi est-ce qu'il avait décidé de parler italien. Est-ce que c'était en espérant que je ne comprendrais pas si je rentrais dans la pièce ? Ou est-ce que c'était simplement parce qu'il avait l'habitude de le faire ? Mais, à ce moment-là, je m'en sortais déjà tout aussi bien en anglais qu'en italien et, évidemment, j'avais compris certaines choses. Pas tout, évidemment, mais certaines choses. J'étais reparti aussi vite que j'étais arrivé et, évidemment, j'avais décidé d'en parler à ma mère. Je crois que c'est ça, au final, qui m'a vraiment mis la puce à l'oreille. Ma mère a perdu son sourire habituel, a détourné le regard et a fiat en sorte de changer de sujet le plus rapidement possible. Si je n'avais initialement ressenti qu'une forme d'incompréhension, j'ai vite ressenti de l'inquiétude, pure et dure. Toutes les hypothèses possibles et imaginables s'étaient enchaînées dans ma tête, certaines plus déjantées que d'autres et je m'étais fait une promesse : essayer d'en savoir plus à chaque fois qu'il viendrait. Je n'aurais pas été assez idiot pour lui poser la question, je me doutais bien qu'il ne me répondrait pas, mais disons que je comptais plus observer et écouter. Encore aujourd'hui, je ne saurais pas réellement dire ce qui m'a autant motivé à "enquêter" d'une telle manière. La volonté de protéger ma mère ? Probablement pas, j'étais incapable de considérer mon père comme un homme dangereux. L'envie de me rapprocher de mon père coûte que coûte ? Ca, par contre, c'était possible. L'envie de me faire remarquer et de savoir faire quelque chose de concret de mes dix doigts ? Ouais, ça aussi, c'était possible.

2006 - 2010 (13 à 17 ans) - L'adolescence, l'arrivée au collège puis au lycée et la découverte de soi-même en plus de la découverte des autres. Aucun "cliché" n'a été aussi réel que celui-là chez moi. Déjà, c'est pendant cette période que j'ai réellement compris, et surtout accepté, que mon père trainait dans des affaires particulièrement louches. Impossible de lui tirer les vers du nez et tout autant difficile de les tirer du nez de ma mère. Au final, mon enquête en solo est restée ainsi, en solo, mais elle m'a malgré tout permis d'obtenir des réponses. Impossible d'utiliser le terme de mafia à l'époque, mais j'avais parfaitement conscience qu'il trainait dans des choses vraiment pas légales. J'ai fait comprendre à mes parents que je le savais, que j'avais compris, ils ont fait comme si de rien n'était. Au final, une sorte d'accord s'est fait entre nous. On est tous les trois conscients de ce qu'il se passe, mais on fera comme si de rien n'était. De toute manière, j'avais largement assez à faire à côté. A l'âge de 15 ans, j'ai vite réalisé que les filles de ma classe ne m'intéressaient pas le moins du monde, mais les garçons eux.. Enfin, un garçon en particulier, un de mes meilleurs amis, un ami d'enfance, mon premier ami, même. Attirance d'abord ignorée, elle est devenue trop forte pour l'être et surtout, elle est devenue réciproque. Je serais incapable de dire qui entre nous avait fait le premier pas parce que même ça, on se l'était partagé, comme on avait toujours tout partagé, au final. Autant l'un que l'autre, on a pas spécialement hésité avant de faire notre coming-out à nos parents respectifs et, si certains auraient pu penser que l'on était trop jeunes, on était tout simplement inséparables et bordel d'amoureux. Quelques semaines de relation se sont transformées en quelques mois, puis en quelques années. Vous savez ce premier amour, cet amour de jeunesse, auquel personne ne croit réellement chez les autres ? Bah chez nous, ça marchait, ça marchait vraiment. Que demander de plus ? J'étais difficilement capable de le dire, même si les absences répétées de mon père restaient un poids carrément difficile à gérer.

2011 - 2013 (18 à 20 ans) - Le passage à la vie "adulte", c'est aussi le moment des premiers conflits avec ma mère, ou plutôt du premier conflit. Si je m'étais simplement écouté, je ne serai pas parti à l'université, je n'en voyais tout simplement pas l'intérêt. Mais elle n'était pas d'accord avec ça et, même si ma vie m'appartient, j'avais bien envie de lui faire plaisir. D'après elle, il me faudrait un diplôme, juste parce que ça me permettrait de plus facilement trouver du travail. Ceci dit, hors de question pour moi de me diriger vers une licence, je ne voulais absolument pas perdre autant de temps, du coup on a trouvé un compromis : un apprentice degree, qui ne correspondait qu'à deux années passées à l'université. En plus de ça, double bénéfice, j'ai pu passer du temps avec mon petit-ami, allant même jusqu'à partager notre dortoir universitaire. Ca nous donnait une forme de vision de ce que pourrait être notre vie plus tard, si on le souhaitait, à la différence que, on l'espérait tous les deux, on partagerait une surface bien plus grande que celle d'un dortoir universitaire. Ceci dit, malgré tout, ça ne m'a pas vraiment aidé à passer un bon moment à l'université. Les cours étaient barbants, même si j'avais été assez "lâche" pour décider de partir en fac de langues, le seul domaine dans lequel j'avais des facilités. Mais l'université, c'était pas fait pour moi, ce qui était pas une grande surprise considérant que je n'étais vraiment pas intéressé par ce qui était scolaire. Mais je me suis accroché pour deux raisons. La première : l'envie de faire plaisir à ma mère, parce qu'elle avait tellement donné pour moi qu'elle méritait bien que j'y mette aussi du bien. La deuxième : parce que je savais pertinemment que les frais de scolarité étaient chers et qu'il était absolument hors de question qu'elle les ai jetés par la fenêtre. Mais, à la seconde où je me suis enfin retrouvé avec ce foutu diplôme entre les mains, j'ai quitté l'université et j'ai décidé de me tourner vers des petits boulots, allant du simple serveur dans un bar à un caissier dans un supermarché ou une épicerie.

2014 (21 ans) - Du sang, du sang partout. Je rentrais tard du boulot, m'étant arrêté chez mon petit-ami pour passer un bout de la soirée avec lui. Je vivais encore chez ma mère, à l'époque, donc c'est chez elle que je suis rentré, chez nous. Enfin, sans le savoir, c'était simplement devenu un chez moi. Impossible pour moi d'oublier ce que j'ai vu ce soir-là, le que ça soit les traces de sang le long du couloir principal de la maison ou le corps inerte de ma mère. Impossible pour moi d'oublier ce moment où, sans même avoir besoin de m'approcher, j'ai su. Mes jambes se sont dérobées, je me souviens à peine d'atterrir sur le sol, et encore moins de rejoindre son corps, dans un espoir vain et profondément inutile de la réveiller. A partir du moment où j'ai composé le 911, tout est devenu profondément flou et, encore aujourd'hui, je mentirais si je disais que je me souvenais vraiment de la suite d'évènements. J'ai des flashs, me suffisant à situer la police, les gens de la médecine légale et le poste de police vers lequel on m'a plus traîné qu'autre chose. Je me souviens des heures d'interrogatoire, des questions à répétition, d'abord pour m'innocenter puis pour essayer de comprendre le pourquoi du comment. Je mentirais si je disais que je n'avais pas pensé à mon père, à cette sorte de gang à laquelle il appartenait, mais j'ai rapidement tiré un trait sur l'idée, en partie parce que bon, ça serait le mettre dans la merde pour, probablement, rien. Dans tous les cas, je le savais innocent, mais ses collègues ? Difficile de le dire, considérant que je ne les connaissais pas le moins du monde. Au final, je n'ai fait que ça, chercher un coupable sans être capable d'en trouver un, tout comme la police. J'ai fini avec une belle somme sur mon compte en banque, une somme dont je ne voulais pas. J'ai fini avec une vie dont je ne voulais plus du tout, parce que vivre à Austin sans elle, sans ma mère, ça me paraissait tout simplement impossible.

2015 (22 ans) - Adieu Austin, bonjour New York. Cette décision, elle était purement impulsive, et à la fois inévitable. Je ne pouvais pas rester à Austin et je savais pertinemment que ça ne pourrait pas changer. Alors j'ai décidé de prendre mes bagages, mettre la maison dans laquelle j'avais grandi en vente, et je suis parti. Pourquoi New York ? Pour mon père, purement et simplement. L'envie de le rejoindre et de construire quelque chose, le tout sans trop vraiment savoir quoi. Mais ça a cassé autre chose, ce départ : la relation que j'entretenais avec celui qui est vite devenu mon ex. Je lui ai simplement dit que je partais, que j'allais vivre à New York. Je ne lui ai pas proposé de me suivre, pas tant parce que je ne voulais pas qu'il vienne, mais plutôt parce que je voulais que le choix lui revienne. Mais considérant qu'il était encore à la fac et en plein milieu d'une année scolaire, je me doutais bien que ça ne marcherait pas. Pas manqué, on s'est retrouvés séparés avant même que je quitte la ville et, de manière générale, l'Etat. Et je dois l'avouer, je n'ai pas tant souffert de cette séparation. Appelez moi insensible, mais la perte de ma mère a été amplement suffisante, et surtout bien plus concrète. Au moins, il n'était pas mort, ça me suffisait amplement. Et au final, avec mon père... Difficile de vraiment décrire comment les choses se sont passées. J'ai rapidement découvert l'existence d'Enzo, apprenant tout aussi rapidement qu'il était mon demi-frère, une annonce qui a fini de taper là où ça faisait vraiment mal. En plus de devoir me reconstruire après la mort de ma mère et de devoir m'adapter à un lieu dont je ne connaissais pas grand chose, je devais vivre avec le poids d'un fait dévastateur : mon père m'avait éloigné, mais avait gardé son autre fils tout prêt de lui. Malgré tout, j'ai accepté de garder ce secret comme lui l'a toujours gardé, simplement parce que c'était lui et que je ne pouvais rien lui refuser, parce que je voulais qu'on ait une réelle relation père/fils qui, avec un peu de chance, ne serait pas seulement épisodique comme ça avait été le cas jusqu'à présent.

2015 - 2020 (22 à 27 ans) - La police, une décision aussi évidente que surprenante. Evidemment, je n'étais pas idiot, je savais pertinemment que depuis New York, je ne risquais pas de trouver le, la ou les meurtier.e.s de ma mère, mais je voulais le faire pour d'autres personnes. Alors j'ai décidé de passer l'examen pour devenir officier de police, avant de finalement rejoindre l'académie de police. Décision autant impulsive que spontanée, la plupart des gens auraient pris le temps de se demander si c'était vraiment la bonne. Mais personnellement, je le savais, c'était la bonne décision. Impossible d'expliquer pourquoi, c'était un pressentiment dont j'étais incapable de me séparer. Et puis, je devais avouer que ça me permettrait également d'aider mon père d'une manière ou d'une autre, ce qui nous permettrait peut-être de nous rapprocher, qui sait. J'avais bien plus de détails que par le passé, n'ayant pas eu besoin de grand chose pour me douter qu'il appartenait à la mafia italienne de la ville, le tout se confirmant une fois que j'étais devenu officier de police. Rien d'officiel dans les dossiers, évidemment, mais ce qu'il y avait était amplement suffisant pour que je fasse les rapprochements dont j'avais besoin. A partir de là, j'ai fait ce que j'avais à faire : j'ai fait en sorte de faire respecter la loi, mais pas à tout le monde. Disons que mon père, ses "associés" les plus proches, mon frère, et d'autres de mes proches, étaient relativement sains et saufs vis à vis de moi. Pire que ça, je faisais en sorte d'avoir accès aux dossiers qui les concernaient de près ou de loin, apparemment assez discrètement pour ne pas me faire remarquer par mes supérieurs, essayant de les sortir de toute difficulté quand c'était possible. Je me fichais que d'autres personnes prennent à leur place si ça devait en arriver là, je savais simplement que je voulais protéger certaines personnes, même si aux yeux de la loi, elles ne le méritaient pas réellement.

2020 - 2024 (27 à 30 ans) - Mais assez rapidement, être officier ne me suffisait plus. Je ne voulais pas devenir capitaine, lieutenant, ou je ne sais quoi, loin de là. Non, je voulais simplement avoir accès à des affaires plus sensibles. Alors je me suis renseigné puis, sous les conseils d'un de mes supérieurs, j'ai décidé de passer l'examen pour devenir enquêteur. J'y croyais qu'à moitié, ou plutôt je n'osais pas y croire, jusqu'au moment où j'ai reçu cette lettre d'acceptation dans mon casier, au boulot. C'était en 2021, j'ai pris le poste directement, une place se libérant dans l'équipe à cause d'un départ à la retraite. On ne peut que difficilement parler d'un rêve qui se réalise, simplement parce que ce n'était pas le cas, mais on pouvait clairement parler d'une bonne satisfaction. J'allais enfin pouvoir toucher à des affaires plus sensibles, tout en pouvant malgré tout continuer d'aider ma famille et mes proches. Pourtant, je voyais bien que ça ne changeait pas grand chose à ma relation avec mon père, sans parler de celle que je partageais avec Enzo qui, dans un sens, était à sens unique, considérant qu'il n'était pas conscient de notre lien. Mais malgré tout, j'étais incapable de m'arrêter, presque désespérément à la recherche du lien et de l'attache qui m'avaient été arrachés au moment où ma mère avait été tuée. Au niveau amoureux, ceci dit, je n'ai jamais cherché à me remettre avec qui que ce soit. Les histoires d'une nuit, par contre, se sont enchaînées les unes après les autres. Je peux difficilement dire que mon ex me manquait, mais disons plutôt que je ne voulais pas de ce genre d'attache, ayant appris à les considérer comme des pertes de temps.