Matilda + what goes around comes around

Tout commence par un coup de fil.

Ce coup de fil qui d’un coup, d’un seul, met fin à leur attente. Cette attente qui au fil des mois, puis des années, est devenue leur mode de vie. Ils méritent pas ça pourtant. Ce sont des gens bien, Annie et John, un gentil couple franco-américain établi dans l’ouest de l’hexagone depuis près d’une décennie. Une publicité parfaite pour une vie réussie: un mariage heureux, des revenus confortables, une jolie maison. De l’amour à revendre, mais pas l’enfant dont ils rêvent. Ils ont tout essayé, sont passés par toutes les étapes, médicalisées ou pas. L’adoption, leur dernier espoir, mais un dossier en perpétuelle attente. Ils ont vu, impuissant, leur trentaine s’effilocher peu à peu, se demandant si pour eux ce ne sera pas trop tard en fin de compte. Si tout ça ne va pas les perdre et les déchirer.

Jusqu’à ce coup de fil, survenu un matin de janvier, si tôt qu’Annie a bien failli laisser le répondeur s’en charger. Mais elle décroche, soupirant par avance, déjà mal disposée à l’égard de l’importun.  Elle oublie bien vite sa mauvaise humeur. Elle oublie tout, en fait.

Un bébé, une petite fille, née sous X quelques jours plus tôt. Et elle est pour eux. De son patrimoine génétique, ils ne sauront rien, ni origines, ni passif médical, ou quoique ce soit d’autre d’ailleurs. Ca semble dérisoire comparé à cette chance qui leur est offerte. Leur bébé, enfin. Leur Tilly.

Et avec Tilly, ils rattrapent tout ce qu’ils ont manqué. Ils surcompensent sans doute, ces années à espérer un enfant, mais aussi cet abandon subi par la gamine, dont même eux ne savent rien. Pourtant, qui que soient les parents, Annie et John leur doivent une fière chandelle. Pour eux, très chrétiens, ça relève même du miracle. Alors, ils bombardent le bébé d’affection, un peu trop, jusqu’à ce que le temps passe, qu’ils intègrent que tout ça, c’est pour de vrai. Elle est à eux Matilda, personne ne viendra la leur reprendre. Ils peuvent enfin profiter, l’élever. L’adoption, ils la lui expliquent assez tôt, avec des mots accessibles. Il faut dire qu’avec leurs cheveux blonds et yeux bleus, il aurait pas fallu longtemps avant que la môme se pose des questions.

Elle leur fait des frayeurs au départ. Peut-être parce qu’elle a été prématurée, peut-être pas, mais elle tombe souvent malade, et l’entrée à l’école n’arrange pas vraiment les choses. Pourtant, ça se tasse avec l’âge, et on la met au sport pour lui permettre de se renforcer un peu. La danse, elle déteste d’entrée de jeu, mais le foot dans la cour de récré, ça lui plait bien. Ses parents, ils sont habitués à plus conventionnel, mais si c’est ça qui lui plait alors soit. Chez les Clarke, par tradition, on fait de la musique et Tilly y échappera pas. Par chance, elle accroche au violon. Tout ça, ça devient une routine réconfortante: l’école, le foot, le violon, ses parents, ses copains de classe. Le temps passe et sa personnalité s’affirme, dévoilant une enfant énergique, un peu dissipée, un peu insolente, dotée d’une certaine sensibilité et intelligente. Elle connait cette existence d’enfant choyée, sans trop se poser de question.

Du moins, jusqu’à ce que sa mère tombe enceinte. Un vrai miracle, surtout à pleins pieds dans la quarantaine. Le couple accueille cet heureux événement avec joie, mais Tilly, elle, voit les choses autrement. Si elle est heureuse d’avoir un petit frère, toutes ces questions qu’elle s’était jamais trop posées avant se bousculent, quand elle voit le ventre de sa mère s’arrondir, puis le bébé revenir de la maternité.

Et elle, d’où est-ce qu’elle vient, elle ?

Alors, ses questions, elle finit par les poser à des parents bien ennuyés de ne pouvoir lui répondre. La gamine se frustre, cultive une forme de colère rentrée qu’elle rabat sur le sport et la musique. Le sujet pourtant devient secondaire lorsque la famille décide de déménager aux Etats-Unis. Ca fait longtemps qu’ils en parlaient, changer d’air, se rapprocher de la famille de John, surtout à présent que la famille s’est agrandie. Valises faites, tous s’envolent pour Monterey, en Californie.

Grâce aux connaissances sur place, l’intégration se fait facilement et passés les premiers temps, Tilly parvient à s’adapter. Pourtant, ça n’enlève rien à ses questionnements et avec l’adolescence vient le sentiment de plus en plus pesant qu’une partie d’elle lui manque. Comme pour tant d’autres gamins de son âge, les relations avec ses parents deviennent conflictuelles, compliquées, exacerbées par la certitude d’avoir été abandonnée. Pourtant, lorsqu’elle leur annonce son désir de retrouver la trace de ses parents biologiques, ils répondent à l’appel. Pas de gaieté de coeur pour autant, animés par la peur qu’elle s’éloigne, mais surtout la peur qu’elle découvre quelque chose qu’il aurait mieux valu ignorer.  

Malheureusement, en la matière, autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Le nerf de la guerre c’est l’hôpital où elle est venue au monde, qui ne peut divulguer la moindre information. En désespoir de cause, elle fait un de ces tests ADN vendus sur Internet, qui lui apprend seulement qu’au moins un de ses deux parents a des origines portoricaines. Mais pour le reste, rien.

Malgré tout elle grandit Matilda, bercée par le quotidien et les premiers émois qui accompagnent l’adolescence. Elle papillonne, avant que son petit coeur se pose sur Beverley, une de ses camarades de classe. Durant des mois, elle échangent secrètement des sourires, des baisers, des mots doux dans leurs casiers, jusqu’à ce que l’affaire se sache. Paniquée, Beverley nie tout en bloc, accusant Matilda de l’importuner. Les retombées sont catastrophiques, la campagne de harcèlement envers la jeune fille devient si intense que ses parents finissent par en entendre parler. Parce qu’elle craint leur réaction, qu’elle les sait conservateur, la petite brune n’ose pas leur dire la vérité mais son désespoir est suffisant pour qu’elle soit retirée du lycée et termine l’année scolaire à la maison.

Son été, elle le passe terrée dans sa chambre, sur internet, écumant les forums français et réseaux sociaux à la recherche de tout ce qui pourrait l’aider, semant des miettes de pain en espérant que quelqu’un pourra les trouver. Et un jour vient une réponse, sous la forme d’un message privé. Ce n’est aucun de ses géniteurs, mais une ancienne sage-femme qui travaillait à l’hôpital où elle est venue au monde. Une heure convenue, un appel et enfin des morceaux du puzzle se mettent en place. l’ex employée s’en souvient, de cette jeune fille désespérée à l’idée d’abandonner son enfant. La famille avait du poids, ça elle en est sûre, étant donné l’attitude du père. Un nom sort cette fois, Alexis McKinney. Le géniteur par contre, elle en a pas la moindre idée. Mais c’est pas si grave, parce que pour la première fois depuis des années, Matilda a de quoi avancer.

Et Alexis McKinney n’est pas bien difficile à retrouver. L’adolescente est plutôt perdue. Elle s’en était imaginé, des scénarios, se figurant que sa mère biologique devait être trop pauvre, ou trop désespérée pour la garder. Pourtant cette femme là, elle a l’air de mener une belle vie, et pas qu’un peu. Alors Tilly, elle a du mal à comprendre. Mais elle veut comprendre.

Pour ça, y a qu’une solution: aller à New York et trouver cette Alexis pour en avoir le coeur net. Et puis, elle doit bien savoir qui est le père, aussi. Ca tombe bien, elle a une tante qui vit là-bas, alors elle essaie de convaincre ses parents de l’y envoyer. Eux ne sont pas idiots, ils se doutent bien de ce que leur fille a l’intention de faire. Ca leur fiche la trouille, mais ils voient aussi qu’elle en a besoin. Qu’elle est déprimée, abattue et qu’un changement d’air pourrait lui faire du bien après les mois traversés. A contre coeur, ils contactent la soeur de John qui finit par accepter de la prendre chez elle, malgré une maisonnée déjà bien remplie par trois jeunes enfants.

Nouvelle ville, nouvel établissement. Encore traumatisée par le harcèlement subi, Tilly se fait la plus discrète possible, maintenant de bons résultats, sans se faire remarquer. De toute façon, sa priorité, c’est sa génitrice et pour ça, elle élabore un plan: décrocher un stage dans l’entreprise où elle travaille. Elle connait pas grand chose à la mode et ça l’a jamais franchement intéressée, mais peu importe, elle bosse son sujet et fait ce qu’il faut pour se montrer convaincante et se faire une place. Elle démarre tout juste, espérant se rapprocher de celle qui l’a mise au monde, même si pour ça elle doit lui servir son café et faire toutes ses photocopies.