That part of me I'll never get back - Rosalie Aubry [TW : +16]

Depuis le jour de ta naissance, tes parents ont toujours espéré l’excellence de ta part. Les meilleures, les meilleures performances sportives, le meilleur avenir. Tu étais si jeune lorsque ton père te compara à ton frère aîné pour la première fois, te rappelant inlassablement qu’il n’était pas un exemple à suivre. Pourtant, c’est ton frère qui t’apprit ce que c’était d’être aimé sans conditions, sans peut-être ou si seulement. Il t’aime pour ce que tu es, ton Samuel, mais tu ne peux que courber l’échine face à tes parents qui en attendent toujours plus que toi. Ton horaire est bien chargé, partagé entre tes cours et tes leçons du soir, partagé entre l’école et le piano, la natation, le français, et même la peinture. Tu te dois d’être parfaite dans tout ce que tu entreprends, tu ne peux te permettre d’échouer. Un fardeau bien lourd à porter pour une si petite gamine.

L’adolescence arrive, mais rien ne change vraiment. Couvre-feu à dix-huit heure, puis tuteurs et encore des leçons de piano. Combien de fois devras-tu exercer tes gammes avant que ton père ne te laisse sortir au cinéma avec tes copines ? Combien de fois devras-tu réciter ce poème de Victor Hugo avant qu’il n’accepte que tu voies ce garçon pour qui tu as le béguin depuis plus de trois mois ? C’était prévisible pourtant, tu aurais dû savoir que tes parents ne te laisseraient jamais dévier du chemin qu’ils avaient tracé pour toi, mais tu conservais tout de même cet espoir stupide qu’un jour, ils te laisseraient vivre un peu.

Avec l’âge adulte, arrive ton premier amour, ta première vraie relation. Il a tout pour te plaire avec son grand sourire et ses yeux d’ébènes, sa voix profonde et son accent un peu brisé. Tu étais si fière de le présenter à ta famille, leur montrer que tu étais maintenant capable de faire des choix pour toi-même. Tu avais tant espéré que cette soirée se passera bien, que tu en avais presque oublié qui étaient vraiment les gens qui t’avaient élevé. Le regard sévère de ton père, les commentaires blessants de ta mère, ils te répètèrent sans cesse la même chose, tout au long du repas : ta priorité devrait être tes études, pas un misérable garçon sans avenir. Ton premier petit ami quitta ta vie avant même que le dessert ne soit servi. Dans ta tristesse, c’est de nouveau vers ton frère aîné que tu te tournes, plongée dans ses bras alors que les larmes coulent sur tes joues comme deux fleuves intarissables. N’arrêteront-ils jamais de te bousiller la vie ?

Pourtant, comme toujours, ta colère se tut dès l’instant où ton père te présenta de fausses excuses auxquelles tu crus si facilement. Tu ne pourras jamais réellement leur en vouloir, ce sont tes parents après tout. De nouveau, tu fis ce qui était attendu de toi. Tu te concentras sur tes études, repoussant toutes distractions qui pourraient te faire dévier de ton objectif. Parfaite petite Rosalie, manipulée comme une marionnette par tes parents, pantin articulé au bois ébréché. Après de nombreuses années d’études, de nombreuses années à repousser tout ceux qui tentèrent de te libérer de tes ficelles, tu débutas ta carrière comme enseignante. Il n’y a rien de plus beau pour toi que les sourires de tes élèves, tes petits chéris. Tu es douée dans ton travail, tes étudiants t’adorent et leurs parents aussi. Tu ne te lasseras jamais de ton métier, tu le sais bien.

Ton monde si parfait s’écroula lors d’une soirée ou ton frère t’avait traîné, te convainquant après beaucoup d’acharnement de l’accompagner. Si ton but était de resté près de Samuel, tu le perdrais rapidement de vue au milieu d’une marée d’inconnus. Après l’avoir cherché au rez-de-chaussée durant ce qui te semblait être des heures, tu étais monté à l’étage dans l’espoir d’enfin le trouver pour lui dire que tu aimerais rentrer. Tu n’as jamais aimé ce genre de fêtes, celle-ci ne faisait pas exception. Derrière toi, sans que tu ne l’aperçoives, un homme te suivait. Avant que tu ne puisses répliquer, celui-ci te poussa dans une chambre ou il t’agressa, te dépouillant de ta dignité et de cette douceur qui faisait de toi qui tu étais. Lorsqu’il en eut fini, tu te recroquevillas sur toi-même dans un coin de la chambre, comme si tu tentais de disparaître dans l’obscurité ambiante. Ton corps, engourdi par la douleur, était secoué de lourds sanglots, alors que ta voix se mourrait avant même de quitter tes lèvres. Tu avais si souvent crié le nom de ton frère, dans l’espoir que celui-ci ne vienne à ton secours, que ton agresseur n’avait eu d’autre choix que de te frapper pour que tu gardes enfin le silence. C’est la lèvre fendue et l’œil bleuit que Samuel te trouva enfin. Ton soulagement fut cependant de courte durée, lorsqu’un simple contact avec ton frère fit naître en toi une si grande crainte que tu ne pus que le repousser. Tu aurais aimé lui dire que tu n’avais pas peur de lui, mais ta voix se fit absente de nouveau. Incapable de parler ou de marcher, on t’amena à l’hôpital où tu passas une myriade de tests, les pleurs de ta mère et les cris de ton père brisant le silence sinistre dans lequel était plongé la salle d’osculation avant qu’ils n’arrivent. Tu ne te souviens pas très bien des questions que te posèrent les policiers ou les infirmières, tu te souviens seulement d’avoir cherché ton aîné du regard, mais celui-ci manquait à l’appel. Peut-être avait-il honte de toi, peut-être était-il répugné de t’avoir comme sœur, peut-être te détestait-il d’avoir gâché sa soirée.

Depuis ton agression, Samuel ne te parle plus. Sans doute t'en veut-il d'avoir été chassé de la maison familiale, tes parents lui ayant coupé les vivres après le cauchemar que tu avais vécu. Ta plus grande source de réconfort maintenant disparu, tu tentes de reprendre le cours de ta vie, non pas sans quelques difficultés. Toi d’un naturel si tactile, tu refuses maintenant que l’on t’approche, réservant tes quelques câlins à tes élèves qui ne comprennent pas pourquoi leur enseignante ne sourit plus comme avant. L’image que te renvoie la glace te dégoûte depuis, si bien que tous les miroirs de ton appartement sont maintenant recouverts, ne te forçant à regarder qu’au moment de te préparer le matin. Tu ne portes plus de maquillages, tu ne portes que des vêtements amples qui cachent tes formes. Tu n’es plus ce que tu étais, Rosalie. Le parfait petit oiseau a brisé ses ailes.