Je fais les gros yeux a Carmelo alors que le maitre de salle, dans son costume impeccable, nous observe, s’attardant sur ma montre spider man, non sans cacher une pointe de dédains avant de se replonger dans son registre.


« Je n’ai rien a Carlyle non plus… vous êtes sur d’avoir réservé ? »

The Broadway Lounge est une de ces adresses prestigieuses a New York ou on peut manger des plats gastronomique dans un cadre à couper le souffle. Il faut dire qu’être au 48e étage de l’Hôtel Mariott Marquis aide pas mal, tant coté charme que coté vue. L’endroit a une saveur particulière pour moi, c’est là où "celui que j’avais appelé père" nous emmenait quand il y avait quelques choses à fêter. J’avais toujours associé ce restaurant a des rares moments ou j’avais l’impression d’exister, ça ne l’avait rendu que plus beau et magique a mes yeux.

Quand il avait fallu choisir un endroit pour fêter ma promotion avec Carmelo, je m’étais rendu compte que c’était ici que j’avais envie de le faire. Certes, il n’avait pas paru plus emballé que ça a l’idée mais quand je lui avais dit que c’était moi qui payais, il s’était montré un peu plus enthousiaste. Reste un détail, si on ne réserve pas au moins 3 mois a l’avance, ou qu’on n’est pas dans les petits papiers du proprio, impossible d’espérer y manger. Je me souviens de l’avoir précisé a Carmelo avant de lui avoir demandé de s’en occupé… il y a 5 mois.

« Messieurs, j’ai peur que sans réservation cela ne soit pas possible, peut etre une autre fois…
- Attendez, regardez encore, a Holland c’est fois. Comme Maitre Holland. »

Je lui tends ma carte d’identité que l’homme regarde avec attention. Sans cette envie farouche de manger ici, je ne me serais pas abaissé a montrer cette carte un peu ancienne ou il n’est pas précisé mon nom d’usage, juste celui de l’homme qui m’avait reconnu administrativement du moins. Avec un ton un peu hautain comme l’aurait fait le vrai Maitre Holland, j’ajoute :

« Mon ami ici présent est sur d’avoir fait la réservation, c’est un jour special pour nous deux et je serais très contrarié qu’une erreur de votre part me gâche le diner. »

Il tique, s’excuse, nous jete un regard comme si la notion "d'ami" prenait un sens étrange pour lui sans que je ne comprenne pourquoi. Puis, en annonçant qu'il part voir sur un autre registre, sur un ton plus affable, il tourne les talons. Des qu’il s’est éloigné vers les cuisines, mon masque de guindé tombe et je me tourne vers Carmelo :

« Dis moi que t’as pas oublié de réserver? »

Je me passe la main dans les cheveux, pas motivé à me résigner en regardant dans la salle, dans l’espoir de trouver un visage connu qui pourrait nous « accueillir » au moins le temps d’une commande. C’est vrai, quoi, on est sociable.  Je vois qu’il y a une jeune femme seule une table. Une assiette en plus de la sienne, juste une carafe d’eau de servie et elle ne cesse de regarder sa montre avec des signes d’attente lasse. Discrètement, je la désigne a Carmelo:

« Tu vois ce que je vois ? »

Ca sent le lapin, une insulte au petit lot qui poireaute. Et si ca en est pas un, j’ai envie de dire, tant pis, on est pas jaloux et on meublera si son rencard est un toquard. Je réajuste ma veste tout en motivant mon camarade :

« Ca se tente ! Espérons qu’elle ne nous balancera pas son verre a la gueule avant le dessert, leur mi cuit au chocolat du chef est une tuerie. »

Carmelo n’avait de toute évidence pas tout suivit. A ce stade, il se demandait même ce que Roman et lui faisait dans cet endroit très chic, lui-même dans un immeuble pas à portée de toutes les bourses. Avant de partir de chez eux déjà Roman lui avait demandé de se changer. Un truc « un peu plus classe » alors Carmelo, sans comprendre, était juste retourner dans sa chambre pour dégager la veste en cuir à clou, les rangers et le jean troué. Il avait même passé une chemise sur un jean bleu et une paire de converse. C’était pas « chic » mais c’était « mieux ».

Il arque un sourcil alors que Roman chercher une réservation à son nom puis au sien. De toute évidence le maître d’hôtel ne trouve pas et Roman, lui, s’impatiente. Il sait déjà que ça va lui retomber sur le bout du museau mais de là à comprendre « pourquoi » hein…

Carmelo ouvre la bouche pour demander qui est « maître Holland » avant de le remettre. Ça avait tendance à le mêler que Roman ait repris le nom de jeune fille de sa mère. Parfois ça le troublait même en compagnie d’Evelyn. En tout cas le type se barre et Carmelo se renseigne, un peu aux fraises :

« Maître Holland ? Ton père est dans un trip bondage ? »

Et surtout, non de dieu, qu’est-ce qui était si spécial ? D’ailleurs :

« Y a quoi de spécial pour nous ? C’est genre notre 7ème anniversaire un truc comme ça ? »

Ça se fêtait en Amérique ça ? Il aurait dû ramener un cadeau ou un truc ? Puis Roman le tire de ses pensées avec une question et Carmelo l’observe en papillonnant des cils deux secondes, comme s’il sortait de transe.

« Attends c’est le restau pour ta promotion ? »

Il y a un silence et Carmelo regarde autours de lui… Puis avise un menu près du pupitre du maître d’hôtel avec les noms de l’endroit en lettres fines et dorées.

« Mais tu voulais pas manger au Broadway Pizza ?? »

Une pizzeria dans Brooklyn pas très loin de chez eux. Un chouette endroit, super bien noté sur les réseaux sociaux et quoi qu’il pensait encore que les Américains ne savaient pas faire les pizzas, elles avaient le mérite d’être originales et bien garnis.

« Je trouvais ça super bizarre aussi que tu veuilles que je réserve 5 mois en avance… »

La serveuse qui lui avait répondu avait elle aussi semblé très confuse évidemment, surtout que personne ne devait jamais vraiment réserver à moins d'être 25 quoi. Mais du coup :

« Ils vont être déçu qu’on vienne pas du coup. »

Carrément. Mais histoire de rattraper un peu la sauce :

« Tu veux que j’embrouille le maître d’hôtel ? »

Ça c’était caaaarément dans ses cordes. Il était un baratineur pur beurre, Roman le savait déjà. Mais son ami ne pense déjà plus vraiment avec sa tête parce qu’il attire son attention sur un joli brin de femme dans une tenue qui soulignait à souhaite toute sa féminité.

« Tu crois qu’elle s’est fait poser un lapin ? »

En tout cas, lapin ou pas, Roman semble décidé et hardi ! Carmelo rigole, lui emboîtant donc le pas jusqu’à la jeune femme qui lève ses beaux yeux de biche dans leur direction.

« Quelqu’un ose vous faire attendre ? »

Carmelo désigne Roman, puis lui :

« Je pense qu’on peut s’arranger pour que la soirée ne soit pas complètement perdue. Mon ami vous a remarqué depuis l’entrée et depuis, il n’a d’yeux que pour vous. Sans vouloir vous faire peur. Quant à moi, mon cœur est en chamade. Heureusement si je m’évanoui Roman est pompier. Il vient de prendre du galon, on venait fêter ça. Vous fêtez avec nous ? »

Il la jouait sympa et calme non ? Il tiendrait peut-être pas le personnage très longtemps mais c’était son cadeau à Roman pour sa promotion ! Son ami n’avait plus qu’à tenter la transformation si elle était réceptive en bout de ligne !

Je me contente d’un « si seulement ce n’était que ca » entre mes dents serrées quand on parle de « celui que j’ai appelé père » . Le sujet est vite expédié et à part un regard de cocker battu, je ne vois pas quoi ajouter quand Carmelo semble juste réaliser que c’est le fameux resto pour ma promotion que je lui avais demandé de réserver il y a des lustres. Je soupire en réalisant que mon bro n’avait juste rien compris. Est-ce qu’ils seront déçus qu’on ne vienne pas la pizzeria de quartier qui est devenu presque notre cantine ? Surement moins que moi en cet instant qui voulait vraiment manger ici. Le pire, c’est que n’arrive même pas a en vouloir a mon pote. J’aurais dû anticiper et gérer ca moi-même, au final, je suis le seul fautif.

Quand il me propose de tenter d’embrouiller le maitre d’hôtel, je grimace. Oui c’est une idée, surement que si je n’avais pas donné le nom de maitre Holland, ça se serait tenté. Sauf que je n’ai pas envie d’imaginer l’homme qui m’a renié avoir un rappel sur le fait que j’étais « irrécupérable » et qu’il avait eu raison de me dégager de sa vie comme un détritus.

« On va éviter maintenant qu’il sait à qui se plaindre si on se foire… »

Non, on va faire plus simple surtout que la chance fait que, malgré la porte fermée avec l’oublie de réservation, il semble qu’il reste une fenêtre ouverte. La question de Carmelo me tire un léger sourire.

« Une aussi belle femme, bien apprêtée, seule devant deux couverts, dans ce genre de resto, c’est soit un rencart avec son mec fantôme, soit un lapin. Je te laisse choisir le scenario le plus plausible. »

Personnellement, j’ai déjà ajusté mon costume, remis en place mes cheveux et sorti mon sourire de pub de dentifrice qui rend si bien sur le calendrier des pompiers. S’il y a un débile qui a osé d’abandonner un joli petit lot comme celui que l’on voit, c’est aussi un peu notre devoir de nous assurer qu’elle passe une bonne soirée.


Je laisse Carmelo nous introduire avec sa façon bien a lui de se lancer dans l’arène. C’est quitte ou double, mais au moins, on saura rapidement si elle a un peu d’humour, ou pas. Je me prête au jeu et salut de la tête la jeune femme alors que mon bro ne manque pas de caser que je suis pompier, dans la conversation. Il se rattrape bien après le ratage de la réservation. J’entends un rire cristallin qui tire un peu plus mon sourire. Je ne sais pas pourquoi elle s’est retrouvée seule ce soir, mais, visiblement, ce n’est pas parce qu’elle est triste a mourir. Ca n’est que de bon augure pour le reste de la soirée. C’est les yeux dans ceux de la victime de lapin, avec un air de gosse faussement fier de lui que je lui réponds :

« Pompier et maintenant lieutenant de caserne… »  

L’invitation à s’assoir suit. Je me contente de croiser le regard de mon bro pour un « check» mental avant de m’installer. Elle nous donne son nom et je ne manque pas de rendre l’appareil a mon camarade :


«  Ce grand modeste qui oublie de se présenter est mon meilleur ami Carmelo. Le charme a l’italienne mêlé a un poète au grand cœur de ceux qui recueillent des chiens estropiés en refuge pour leur offrir une meilleure vie… même si j’ai peur que notre amitié soit bien mise a mal ce soir, a moins que vous n’ayez une sœur aussi charmante que vous.»

Après un clin d’œil, me doutant bien que Carmelo saura ajouter plus d’une touche de couleurs au tableau que je viens de dresser de lui, je fais signe au serveur avec l’assurance d’un habitué de ce genre d’endroit guindé, pour qu’il nous apporte la carte des boissons. Est-ce que cela dévoile ma montre spider man ? possible, mais je trouve vraiment qu’elle me va mieux que mon ancienne rolex, même quand je porte le costume. Le temps qu’il arrive, je ris doucement de la question de Rosalie. J’hausse les épaules avant de répondre en ayant du mal a garder un ton sérieux :


« Et bien, je dirais qu’on attendra surement la fin de soirée pour voir si les statistiques sont de 100% ou plus vers les 0%. Vous avez peut-être des prognostiques Rosalie ? »

La bonne nouvelle, c'est que lorsque la jeune femme relève son regard de biche sur eux, elle ne semble pas comme prise dans les phares d'une voiture. Au contraire, loin d'être inquiète elle paraît presque soulagée. Sans doute lui avaient-ils évité l'embarras de renoncer à sa table, avouant ainsi sans le dire qu'un homme avait pensé inutile de la prévenir qu'il ne viendrait pas à leur rendez-vous. En tout cas elle semble accepter de bon cœur qu'ils s'installent et Carmelo a un clin d'oeil charmeur pour elle en tirant une chaise pour s'installer. Il allait héler un serveur à la première occasion pour qu'il ajoute un couvert de plus.

Carmelo porte une main à son cœur en saluant d'un signe de la tête la jolie Rosalie tandis que Roman prend le temps de le présenter à son tour, lui donnait quelques signes de noblesse ! C'était sans doute mieux que de dire de lui qu'il était pickpocket et arnaqueur. Son ami taquine sur ce que leur amitié pourrait s'égratigner de voir un gagnant et un perdant devant les beaux yeux de ce joli bout de femme et de fait, entrant dans le jeu de la concurrence :

« Ma douce, je parle la langue de l'amour moi, l'italien. Si vous ne le parlez pas ça n'a pas d'importance, ce n'est pas vos oreilles que je cherche à caresser mais votre cœur. »

Il sortait le grand jeu oui ! Ils étaient dans un truc luxueux, du coup il était raccord ! Il allait forcément déraper à un moment ou pendant son petit numéro mais l'humeur était plutôt bon enfant, ils s'amusaient déjà sans se connaître et ça restait gratifiant de ramener un sourire sur ces lèvres en cœur.

Carmelo interpelle effectivement un serveur pour lui demander un couvert. Il croise le regard du maître d'hôtel qui était revenu... Mais est-ce que c'était à cause du beau-père de Roman ou de la jeune femme qui avait l'air de tout sauf de détester la compagnie, il n'intervient pas. Peut être aussi qu'il avait flairé les soucis s'il avait essayé de les mettre dehors. Bref. Carmelo saisit un petit gressin dans une coupelle avant de rire légèrement à propos de la technique de drague.

« C'est assez rare qu'on soit en compétition directe. »

Et taquin :

« Je suis un homme très ouvert mais Roman n'est pas partageur de son côté. Sa maman l'a bien élevée. »

On en était plus à l'époque des maladresse du genre « son père l'a bien élevé ». Même si Carmelo ne savait que très peu de choses sur cet homme, il avait vite appris à faire comme s'il n'existait pas vraiment pour le bien être moral de son meilleur ami.

« On peut se tutoyer au fait ? Le vouvoiement c'est très sérieux. Mais tu choisis Rosalie : le tutoiement ou un peu de pied sous la table. Je peux même me déchausser pour que ce soir moins rugueux sur tes bas... ! »

Et de préciser rapidement, enjôleur mais déjà plus « Carmelo-esque » :

« Mais je peux faire les deux si tu aimes hein ! »

Et avant de laisser Roman faire son propre petit numéro :

« Alors dis-nous tout Rosalie. Qu'est-ce que tu fais dans la vie à part être belle ? »

J’ai un grand sourire surtout en voyant Carmelo faire son petit numéro. Depuis le temps que l’on se connait, on est capable de lire l’un en l’autre et se comprendre sans avoir besoin de sous-titre. La magie de notre complicité j’imagine. Je ne peux que le remercier intérieurement de ne pas avoir mentionné mon ex-père pour ce qui est de mon éducation. Avec sa façon propre a lui, il brise la glace comme si nous étions tous déjà des vieilles connaissances et que ce repas tous les trois était bel et bien prévue.

« Pour ce qui est de ta sœur, je pensais plus pour la présenter a Carmelo pour mieux profiter de toute ton attention… dans tous les cas, je note que les augures sont favorables pour que nous passions une bonne soirée »

Les cartes sont distribuées, mais je n’ai pas besoin de trop les regarder pour savoir ce que j’ai envie dessus. Certaines choses changent, pas les plats signatures de ce restaurant ou la carte des vins. Au moins, ca me laisse plus de temps pour me concentrer sur la malicieuse jeune femme en face de nous, me demandant comment elle a pu se retrouver abandonnée ici. Elle est plus que mignonne, elle ne manque ni d’esprit, ni d’humour…

Carmelo continu son numéro de charme avant que je ne le sente se tendre. Juste a son expression soudaine, je n’ai pas besoin de regarder ce qui se passe sous la nappe pour comprendre qu’elle l’a, peut-être, trop pris au mot dans ses propositions. Visiblement, il ne s’y attendait pas et j’ai du mal a retenir un petit rire vue son expression. Si la demoiselle a des petits airs innocents, il faut croire qu’elle est beaucoup hardie qu’on ne l’aurait cru. Avant qu’elle ne demande mon avis, je suis déjà en train de voler au secours de mon pote. Je glisse ma main sous la table, je trouve facilement un pied, a mi-cuisse de Carmelo, qui ne lui appartient pas. C’est avec un air mutin les yeux plongés dans ses prunelles que je lui réponds :

« La 4e option va déprendre de ce dont tu as vraiment envie, mais sache que j’ai a cœur de donner de ma personne pour te faire très plaisir ce soir. »

Tout en parlant, je ramène délicatement vers moi son pied et laisse mes doigts se promener doucement sur ses bas en une légère caresse. Je suis curieux et je me demande si elle va vouloir que je continue où faire marche arrière alors que je suis prêt a continuer de jouer avec son petit peton si elle m’en laisse le loisir.

« Pour être aller faire des animations dans les écoles, je dois avouer que souvent, je trouve qu’un immeuble en flamme est moins impressionnant qu’une armée d’enfants surexcités. Quant a la natation, ca m’étonne presque de ne pas t’avoir croisé sur les plages…»

Avec Liam on est tout le temps fourré là-bas pour faire du surf ensemble, enfin, on était avant que monsieur ne se fasse passer la corde au cou et préfère passer du temps a roucouler plutôt qu’avec moi. Je me tourne vers Carmelo lui laissant le soin de partager sur lui. Comme je ne suis pas complétement certain de savoir a quel point je l’ai sauvé je préfère lui laisser doser son aura.

Carmelo était une très grande gueule. Et souvent, marcher dans sa combien le faisait juste démarrer au quart de tour. Alors lorsque Rosalie entreprend de complimenter son accent natal, il est tout à sa joie ! Quant à cette histoire de sœur, ça le fait rire. Ça lui rappelait la dernière fois qu’ils s’étaient retrouvés à draguer de cette manière. Pour Roman, ça n’avait pas aussi bien finit que pour lui, à moins d’être un grand amateur de scrabble ou quelque chose du genre… ! Mais même sans scorer, Roman était capable d’apprécier la compagnie de quelqu’un lors d’une soirée ! Lui ? Ça dépendait un peu de ladite soirée pour être honnête !

Par contre… C’est vrai qu’il est surpris en sentant soudainement un pied contre sa jambe. Au début ça ne le perturbe pas vraiment. Elle entrait dans le jeu et il allait trouver quelque chose d’amusant (ou d’approchant) pour répliquer et faire comprendre à Roman ce qui se tramait sous la table. Mais il est interrompu dans son élan lorsque ce pied-là, non content de visiter son tibia, remonte jusqu’à venir tâter le gras de sa cuisse. On rendait rarement Carmelo silencieux mais là… Oui.

Ho attention : il avait l’habitude de ce genre d’attitude. Mais généralement ça venait des hommes plutôt que des femmes. Celles qui étaient capables de tant d’audace se repérait généralement facilement parce qu’elles tenaient plus de la louve que de l’agneau. C’était le cas de Rafaele par exemple. Mais jusqu’ici, Carmelo avait sincèrement cru qu’il avait rejoint la table d’un agneau. Grave erreur. Et ça venait de le décontenancer.

Plus encore, qu’elle le fasse tout en invitant Roman ! Ok, il avait été le premier à évoquer cette histoire de trio… Mais il en avait vite exclu Roman, qui ne mangeait pas de ce pain-là. Ceux qui avaient le fantasme de l’institutrice cochonne venaient de rater la chance de leur vie. Du côté de Carmelo, c’est encore un léger blocage. Il ne pourrait pas expliquer, mais cette ambivalence avait refroidi un peu ses ardeurs…

Heureusement, Roman est là. Roman comprend sans même qu’il ait dit quoi que ce soit et un sentiment inhabituel se prend de Carmelo tandis qu’il vient chercher le pied taquin pour le ramener à lui. Il garde le silence encore quelques instants avant d’ouvrir le menu, les lèvres légèrement pincées, cherchant ce qu’il mangera ce soir.

« Fais attention, je crois qu’elle pourrait te manger tout cru. »

Il blaguait mais n’y avait-il pas une part de vérité finalement ? Il en revient un instant à Rosalie, se renseignant :

« Quelle nage en particulier ? »

Et amusé, retrouvant sa quiétude et sa nonchalance habituelle :

« Tu te prends pour David Hasseloff ? »

Carmelo ricane. Et histoire de faire valoir un peu Roman :

« Il y a peu il a sauvé une de ses collègues d’un détraqué. Il s’est mérité 6 points de suture et une sale morsure. »

Si elle aimait les bosses et les cicatrices, elle serait servie ! Et parlant de servir :

« Vous savez ce que vous allez prendre ? En tout cas on doit au moins prendre une bouteille de champagne puisqu’on fête ! »

Et de plaisanter :

« Mais n’essai pas de nous faire boire jusqu’à l’ivresse pour abuser de nous Rosalie ! Ça ne se fait pas ! »

Je lance un regard plein d’humour a Carmelo quand il me prévient que je risque de me faire « manger tout cru ». Je ne manque pas de répondre :

« Tu me connais, j’aime vivre dangereusement. »

Sinon j’aurais surement choisi un autre métier que celui de pompier. En attendant mes doigts continuent de jouer sur le pied de la jeune femme qui ne semble pas pressée que j’arrête.  D’ailleurs, heureusement que j’ai son peton sous la main, sinon, je pourrais croire que j’ai affaire a une sirène quand j’entends son palmarès. Moi qui pensais être un bon nageur, je suis presque sûre d’avoir trouver meilleur que moi. Un autre détail attire mon attention.

« Tu fais du surf ? Vraiment ? C’est amusant, avec un collègue on est « un peu » accro a nos planches. Si tu as besoin de cours, surement que nous pourrions nous arranger. D’ailleurs Carmelo, ca pourrait être le moment de t’y mettre toi aussi… »

Liam et moi partageons cette passion qui fait que nous sommes proches et rarement les derniers a nous proposer quand il faut des volontaires pour aller veiller a la sécurité sur la plage en saison touristique. Je n’ai aucun doute que ca pourrait bien se passer avec mon coloc presque frère… bon, en fait, aucun est peut être un mot un peu fort mais au moins, on ne pourrait pas s’ennuyer. Je fais semblant d’être choqué par la remarque de mon meilleur ami :

« Comment ca, je ressemble plus a un chanteur allemand qu’a David Charvet ? On m’aurait menti ? Et puis, ce n’est pas de ma faute s’ils nous demandent de mettre un short rouge pour arpenter les plages. »

Je me sers un verre d’eau quand Carmelo fait « modestement » mes louanges sur ma dernière péripétie pleine de mordant. C’est vrai que je lui ai toujours raconté la version « comique » de cette sortie, préférant éviter de l’inquiéter plus qu’il ne l’avait été quand il avait fallu aller me chercher a l’hôpital. Aussi, je préfère ne pas creuser plus le sujet me contenant d’un :

« Je suis sûr qu’avec ton métier, tu es bien plus exposée aux morsures que moi… qui plus est, je maintiens qu’il faut bien plus de courage pour réussir a tenir une armée d’enfants que pour faire mon métier. »

Je n’ai pas besoin de regarder la carte pour savoir ce que je veux dessus. Certes, certains plats changent mais pas leurs grands classiques. Si j’ai tenu a venir ici, ce n’est pas pour voir les dernières prouesses de leur chef mais plus de renouer avec des souvenirs de moment heureux ici.  Une fois de plus Carmelo ne manque pas de rendre l’ambiance joyeuse comme lui seul sait le faire. Comme a mon habitude, je ne suis pas le dernier a rire a ses sorties inattendues.

« Mince, moi qui espérais être une victime consentante. »

Je ne m’aperçois que seulement du rouge aux joues de Rosalie, étrange contraste entre cette timidité affiché alors que sa jambe reste remontée jusqu’à mes genoux.

« Puisque tu offres le champagne, je me permets de prendre a ma charge le vin pour le repas, pour arroser ma promotion.  Vous savez ce que vous avez envie de manger histoire que je ne fasse pas de faute de gout ?»

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