Une pause bien méritée- (Feat Joachim Alvarez)

Étendre le business et le diversifier en incluant des trafics de médicaments, ça avait été un gros boulot. Cela faisait des mois que Joachim, entouré de quelques hommes, s'occupait de cette partie là. Son père l'avait laissé gérer, voyant là une opportunité de tester son fils et de voir s'il était prêt à prendre la relève. S'il savait... Joachim parvenait encore à donner le change, à dissimuler ses véritables intentions qui étaient en réalité totalement opposées aux ambitions de son géniteur. Il ne rêvait pas de reprendre ce cartel, loin de là, il espérait plutôt le détruire. Mais ça, il savait que ce serait impossible, ou très complexe en tous cas. S'il pouvait aider la DEA à faire tomber quelques grosses têtes, ce serait déjà bien, mais tuer une telle organisation, il ne fallait pas rêver. Ils étaient nombreux, des milliers à travailler pour son père, ce serait un travail qui demanderait plusieurs dizaines d'années, des années que Joachim n'aurait pas. Soit parce qu'il se ferait tuer avant, soit parce qu'il finirait en taule. Dans tous les cas, il connaissait déjà son destin et sa première expérience de la prison lui avait fait réaliser quelle serait sa vie s'il s'en "sortait".

Quelque part, il avait eu de la chance, il avait été enfermé pour avoir été présent dans un laboratoire clandestin. On ne pouvait l'inculper pour rien de très grave, de son point de vue en tous cas. Car même s'il n'y paraissait pas à le voir, Joachim avait du sang sur les mains et avait commis déjà quelques meurtres... Il était loin d'être fier de cela, et il ne pourrait nier que dans certains cas, ça avait été un véritable traumatisme, mais il fallait donner le change, encore et toujours. Les missions au Mexique, c'était ça le plus dur. Le pays était bien plus dangereux que les États-Unis, les missions dérapaient rapidement pour finir dans un bain de sang, tandis qu'à New-York, c'était plus rare. Ils se faisaient plus discrets. S'il n'y avait que cette partie là du business, avec le trafic, et la fabrication des drogues, Joachim aurait peut-être pu accepter cette vie, mais c'étaient les parts les plus sombres de cet univers qui le révulsaient.

Alors, en cette journée, se rendre du côté de l’hôpital pour récupérer de la marchandise, c'était une véritable promenade de santé. Son sac à dos contenant son ordinateur avait une doublure qui lui permettrait de récupérer une partie de la marchandise et ainsi monté sur son vélo, il avait tout du petit étudiant classique dont personne n'irait se méfier. Pour le reste, il faudrait un point de rendez-vous bien moins voyant et passant que Central Park, mais pour une première rencontre, avec la jeune femme dont on lui avait parlé, cela suffirait. Arrivé sur le lieu de rendez-vous, Joachim observa les gens qui s'y trouvaient. Plusieurs jeunes femmes étaient installées sur les bancs qui se trouvaient là. Il n'avait jamais vu son contact, il savait  juste qu'elle serait seule, ce qui éliminait déjà plusieurs possibilités. Il finit par s'approcher d'une jolie brune, l'interpellant :

C'est toi, Ella Scott ? On m'a dit que tu avais quelque chose pour moi.

Aller rencontrer les passeurs, dealers, et autres petites mains, ce n'était pas spécialement son job à la base. Mais le trafic des médicaments étant de son fait, il s'y était mis. Après tout, avant de vouloir diriger, il faut savoir tout faire dans une entreprise et bien dans un cartel, c'était pareil. Joachim avait fait comme toutes les recrues, il avait passé les différentes étapes même si cela s'était fait plus rapidement pour lui, le propulsant très vite sur un terrain bien plus dangereux. Si sa vie avait toujours été au coeur des violences, la mort de son frère ainé quelques années plus tôt l'avait propulsé plus vite encore dans cet univers qu'il abhorrait, lui mettant en sus une cible dans le dos pour qui voudrait mettre la main sur le cartel des Alvarez. Son père dirigeait toujours, mais il semblait vouloir passer la main rapidement à son unique fils qui, lui, ne rêvait que d'une chose : fuir à l'autre bout du monde. Qu'est ce qui le retenait après tout ? Ses amis ? Sa famille ? L'amour ?... Sans doute en partie, mais tout cela, il aurait encore pu l'abandonner pour enfin avoir la vie qu'il désirait. Mais il y avait une chose bien précise qui le retenait à New-York et l'empêchait de tout plaquer, de changer d'identité, et de s'installer à Bali, Singapour, Tokyo ou n'importe quelle autre ville où le cartel ne le retrouverait jamais. Et cette chose, c'était son fils. Enfant non désiré, Jarod était apparu dans sa vie alors qu'il n'avait que dix-neuf ans et depuis, Joachim jonglait entre son devoir envers le cartel, son job, et cet enfant qu'il ne voyait que trop peu, laissant à son ex petite amie tout le loisir de penser qu'il était parfaitement irresponsable.

La jeune femme était loin de s'imaginer le tumulte qu'était sa vie, lui ayant tout caché de qui il était réellement. En vérité, la naissance de son fils avait été un électrochoc pour lui. Si un nouvel Alvarez venait à fouler cette terre, pour sûr que le patriarche voudrait l’enrôler rapidement, l'entrainer comme il l'avait fait avec ses deux fils, et Joachim refusait que son enfant aie cette vie là. Il le maintenait à l'écart, son existence n'était connue que de peu de monde et il fallait que cela reste ainsi. C'était aussi pour Jarod que le mexicain jouait un tel double jeu. C'était à sa naissance qu'il avait commencé à travailler avec les flics pour démanteler le cartel de l'intérieur, et lorsque son frère ainé s'était fait tuer, cela n'avait fait que le conforter dans cette idée.

Il se retrouvait donc là, à jouer un double jeu depuis des années, craignant toujours le moment où son père finirait par découvrir ce qu'il faisait. Alvarez père aurait-il la force de tuer son propre fils pour sa trahison ? C'était bien possible... Joachim avait beaucoup de difficultés à communiquer avec lui, et à s'en sentir proche. On ne pouvait pas dire que l'amour était totalement absent de leur relation mais il n'était pas exprimé, ou très rarement, aussi doutait-il toujours des réactions qu'il pouvait avoir. C'était un peu pour noyer le poisson aussi qu'il s'était tant investi dans ce trafic de médicaments, et puis, en ayant fait des études de pharmacologie, il savait parfaitement quoi viser et comment reproduire ceux qui rapportaient le plus d'argent. Et en cette journée, il était venu rencontrer une jeune femme qui avait été démarchée par un de ses gars quelques temps plus tôt. Lorsqu'il l'interpella et que la brune lui répondit d'une façon un peu brute de décoffrage, il eut un léger rire.

Alvarez, Joachim. Il me semble que tu as rencontré un de mes gars, un dénommé Pablo Rodriguez. Il m'a parlé de toi, il paraitrait que l'on puisse faire affaire ensemble.  

Il était allé s'asseoir à côté d'elle, prenant son paquet de cigarette dans la poche de sa veste pour s'en allumer une. Il tira une bouffée de nicotine avant de reprendre la parole.

Je suis là pour vérifier que l'information donnée est correcte, et si on peut trouver un arrangement viable.

Il avait eu un léger rire lorsqu'elle avait rétorqué qu'on lui avait parlé de lui "très brièvement". Et pour cause. Ses gars n'avaient pas pour habitude de raconter sa vie, de toutes façons, il n'en connaissaient presque rien. La seule chose à savoir était qui il était et ce qu'il faisait. Le reste...Qui s'intéressait à sa vie personnelle et au fait qu'il ait un faible pour la cuisine asiatique ? Personne ! Et c'était bien ainsi, il ne fallait pas tout mélanger. Joachim avait déjà du mal à dissocier cette double vie qui avait commencé depuis près de sept années à présent, mieux valait préserver au maximum son intimité.

C'est peut-être parce que tu n'es personne que tu m'intéresses, répliqua t-il d'un ton sérieux bien qu'il esquissait un léger sourire. L'anonymat était important dans ce genre de boulot, s'ils avaient besoin de leurs bras armés et de leurs lieutenants pour maintenir l'ordre et se faire respecter, c'étaient surtout les petites mains qui rapportaient de l'argent, et s'ils se faisaient prendre, c'étaient des revenus en moins. Cependant, s'il fallait sacrifier quelqu'un, quoi que cela coute, il valait mieux que ce soit un petit dealer ou un rabatteur qu'une tête. Tout le monde n'était pas aussi aisément remplaçable...

J'ai besoin de gens fiables et discrets pour récupérer autant de médicaments possibles, je me fous de l'aspirine et toutes ces conneries là, ce que je veux ce sont les medocs contre le cancer.

Ces médicaments étaient une véritable mine d'or, même s'il les revendait la moitié de leur prix, certains pouvaient couter jusqu'à 20 000 $ la boite, autant dire que se soigner n'était pas possible pour tout le monde à ce tarif. Ce trafic était donc à l'image de Joachim, avec une certaine ambivalence. Bien sûr, l'attrait principal était de se faire de l'argent, il ne fallait pas se leurrer, le cartel n'était en rien un organisme à but associatif mais ces trafics pouvaient aussi aider des gens qui n'auraient jamais pu s'offrir un traitement sans cela. Mais Joachim n'avait pas la prétention de sauver le monde, et au vu de l'univers dans lequel il avait grandi et évolué, il essayait surtout de limiter la casse et de ne pas embarquer davantage d'innocents dans l'enfer des cartels et de la drogue. Seulement, la jeune femme qui se trouvait à ses côtés lui paraissait loin d'être aussi innocente que son job pourrait le laisser croire.

Tu auras 3% de la valeur réelle de ce que tu seras en mesure de faire sortir de la pharmacie de l’hôpital. Ça me parait être un bon deal, non ?

Il parlait franchement, sans le moindre sous-entendu. Beaucoup de cartels proposaient moins que les 3% qu'il venait d'évoquer. Il lui proposait une offre qui pouvait lui rapporter gros si elle avait connaissance du coût des médicaments, chose qui était certainement le cas. Le tout était qu'elle parvienne à le faire avec parcimonie et discrétion afin que cela ne soit pas remarqué lorsque les pharmaciens feraient leurs inventaires. Si elle se débrouillait bien, les fins de mois n'auraient plus rien de difficile, les plus débrouillards parvenaient à se faire 10 ou 15 000 $ en un mois.

Alors, Ella, qu'en penses-tu ?

Joachim, tout comme son père d'ailleurs, savait écouter les arguments et si la brune souhaitait autre chose que de l'argent, et que c'était dans ses capacités de lui fournir cette aide, cela pourrait se négocier.

Tu feras des affaires sur le dos des laboratoires qui profitent de la détresse des gens qui sont prêts à donner tout ce qu'ils ont pour tenter de survivre... Pour les plus "chanceux" en tous cas. Je ne vais pas te faire un discours empli le miel, c'est pas mon genre. On n'est pas des Robin des bois. Oui, ça sauvera des gens, mais on ne fait pas la charité non plus. Ils seront simplement plus abordables pour ceux qui en auront besoin. Dans le lot, il ne faut pas se leurrer, il n'y aura pas que des gens pour qui ce sera indispensable. Certains en profiteront encore plus que nous.

Il termina sa tirade par une bouffée de nicotine. S'il voulait des nouvelles recrues, il préférait être honnête contrairement à certains qui faisaient miroiter un véritable monde de bisounours inaccessible. Non, Joachim n'était pas un beau parleur, il disait les choses telles qu'il les pensait et si cela ne convenait pas à la demoiselle, elle était en capacité de refuser. Par contre, lui promettre qu'elle ne devait rien à personne en mettant les pieds dans le cartel, ça, il ne le pouvait pas. Il n'était pas le seul décideur, loin de là, s'il pouvait contourner certaines règles, s'il pouvait donner quelques ordres, au final, la parole de son père pesait plus lourd que la sienne.

Tu seras payée à la comm', donc plus tu fourniras, plus tu gagneras, mais je ne peux pas te garantir qu'on ne t'en demandera jamais davantage.

Il aurait pu poursuivre avec ce genre de tirade : Mon père te sortirait probablement des boniments sur le fait qu'on est une belle et grande famille, qu'on abandonne pas les nôtres, ce qui serait le cas si tu quittais après avoir commencé à bosser avec nous. Ce n'est pas vrai. On n'a rien d'une grande famille. Le jour où un maillon gêne, on s'en débarrasse. Ces belles paroles ne sont valables que pour les anciens qui sont proches du "jefe", pour le reste, tu n'auras des avantages et une protection que si tu en vaux vraiment la peine. Mais cela resta dans son esprit. Inutile de lui donner des raisons de fuir, car après tout, rares étaient ceux à être réellement protégés.

Joachim avait tenté de le faire, avec son ami Diego, un de leurs dealers. Et pour autant, il n'y était pas parvenu. Le jeune homme avait perdu pour 63 000 $ de marchandise, il remboursait petit à petit, et Joachim avait tenté de l'aider, de s'interposer, de lui laisser plus de temps, mais son père et les lieutenants...Ils n'avaient pas sa patience, ils n'avaient pas non plus l'attachement qu'il avait pour ce jeune homme. Alors, les promesses, Joachim évitait de les faire, il savait qu'il serait difficile de les tenir. Non, vraiment, Joachim n'était pas la bonne personne à envoyer pour du recrutement, il ne savait pas enrober la réalité, il ne savait pas embobiner les gens. Il préférait se taire ou éluder que de mentir. Alors qu'il laissait à la brune le loisir de réfléchir à ce qu'il lui avait dit, il la sentit se rapprocher et s'étonna de sentir ses doigts s'entremêler aux siens. Il la regarda, interrogatif, alors qu'elle lui murmurait quelques mots. Un léger rire sortit alors d'entre ses lèvres tandis qu'il lui répondait un ton plus bas :

Et pour quelle raison penses-tu qu'il m'observe de la sorte ? Tu as envie de parier sur une des multiples possibilités ? Demanda t-il avec un petit sourire amusé. Oui, des possibilités, il y en avait beaucoup. Joachim avait fait de la prison quelques mois plus tôt, son nom était connu de la police malgré le fait qu'ils n'aient pas réussi à l’incarcérer bien longtemps, et puis il y avait aussi la possibilité que sa tête ne lui revenait tout simplement pas. Le racisme restait bien présent, et lorsque l'on a des origines étrangères et que l'on a des tatouages un peu partout, les gens ont rapidement des aprioris. Pour le coup, ce n'était peut-être pas à tort, mais ça n'en restait pas moins une réalité. Joachim rapprocha légèrement son visage du sien, finissant par émettre une autre hypothèse :

Mais peut-être est-il simplement jaloux, ajouta t-il, ponctuant sa phrase par un léger rire. Il y avait tout un tas de possibilités mais une chose était sûre, ils ne pourraient pas poursuivre leur conversation tant qu'ils seraient là !

Ils avaient commencé à parler business, Ella était une potentielle recrue pour le trafic de médicaments qu'il avaient mis en place quelques mois plus tôt. C'était une nouvelle source de revenus pour le cartel et tout n'était pas encore parfait. Historiquement, ils faisaient dans l’héroïne, le LSD et la marijuana, ils avaient diversifié au fil des années afin de toucher une plus large clientèle. Joachim avait toujours tenté de chercher les aspects positifs de leur business et si la Marie-Jeanne pouvait être une bonne chose dans certains cas, le reste des drogues qui étaient fabriquées et circulaient ne pouvaient pas être qualifiée ainsi. Elles détruisaient des vies...Mais elles rapportaient énormément. C'était le but de tout trafiquant de faire de l'argent, à n'importe quel prix, mais lui, il n'était pas comme son père, il rêvait d'une autre vie, et il avait fait des études de pharmacologie en espérant pouvoir aider plutôt que détruire. Utopiste, n'est ce pas ? Toujours était-il qu'il avait mis ça en place, confortant sa place au sein du cartel, lui donnant plus de responsabilités et de crédibilité, tout en faisant quelque chose de... Moins terrible qu'à l'accoutumée dirons-nous. Il avait exposé clairement sa vision des choses à Ella. Libre à elle d'accepter ou de décliner, mais une fois endoctriné dans un cartel, tu ne t'en sors pas aussi aisément. Il ne lui faisait donc aucune promesse, laissant le baratin à ceux qui avaient moins de conscience que lui.

La brune n'avait pas répondu à sa proposition de pari et Joachim avait répondu à son sourire avant de répliquer :

Je comprends, tu veux pas prendre le risque de perdre. J'aurais accepté de ne miser que 5 dollars tu sais.

Une petite provocation qui la pousserait peut-être à se décider. Toujours était-ils qu'ils ne pouvaient plus parler de cela avec ces oreilles qui trainaient dans le coin. Les doigts entrelacés aux siens, il finit par lui balancer que le flic le regardait peut être avec insistance par jalousie et la réponse de la brune le surprit.

Ah oui ? Et pourquoi ne serais-tu pas son style ? Tu attires quel genre de mec d'habitude ?

La situation semblait la stresser, peut-être avait-elle plus à cacher qu'il n'y paraissait, tandis que Joachim, lui, n'était pas plus indisposé que ça par l'arrivée des flics dans leur sillage. Après tout, il y était confronté chaque jour de sa vie ou presque depuis des années, il savait bien que certains ne rêvaient que de l'enfermer, d'autres avaient eu l'audace de le cogner et l'avaient, au final, payé très cher, et puis il y avait ceux que le cartel avait mis dans sa poche et qui étaient sans doute bien plus nombreux qu'on ne pouvait l'imaginer. La brune avait l'air de bloquer avec cette situation, contrairement à lui qui savait qu'il fallait rester naturel en toute circonstance, c'est quand on a l'air coupable qu'on attire l'attention ! Et quand on a des tatouages partout aussi, accessoirement.

Et si tu me parlais de toi, tes loisirs, tes passions ? En dehors du fait de vouloir sauver un maximum de gens ? Demanda t-il avec un petit sourire aux lèvres, il fallait bien relancer la discussion s'ils ne voulaient pas paraitre particulièrement suspects.