Elena Flores - Le destin fait bien les choses alors suit le chemin qu'il te montre

Manuella, c’est le prénom que ses parents avaient choisi pour elle. Mais la vie ressemblant à une pochette-surprise, ce fut comme une évidence pour eux d’opter pour tout autre chose. Le jour de sa naissance était pluvieux et puisqu’une tuile arrive rarement seule, à l’instant où les contractions devinrent suffisamment rapprochées pour que la famille se rende à l’hôpital, la voiture avait refusé de démarrer. Soutenant sa femme par les épaules, Javier l’avait reconduit difficilement jusqu’au porche de leur maison tandis que le jeune Pavel courrait à l’intérieur pour composer le numéro de téléphone des secours sur le combiné à fil se trouvant dans la cuisine. Au Mexique, les pluies deviennent souvent torrentielles, créant des dégâts monstrueux et la communication avait été coupée, l’enfant était revenu sur le perron avec dans l’idée de jouer au pompier venant sauver la situation. Mais, alarmée par les cris, la voisine avait rejoint ses parents et lui avait demandé dans un sourire de retourner se mettre à l’abri dans le salon. Il avait fallu plusieurs heures avant que l’enfant ne soit autorisé à remettre le nez dehors, se précipitant alors vers sa mère qui tenait dans ses bras un bébé tout fripé, mais en bonne santé. Les heureux parents s’étaient regardés et ils n’eurent nullement besoin de se parler pour tomber d’accord, leur nouveau-né s’appellerait Elena. Cette histoire, la jeune femme aimait la raconter, fière de porter ce prénom en l’hommage à cette femme ayant bravé la tempête pour lui permettre de voir le jour. Pour elle, le Mexique, c’était ça ! Un peuple avenant, de la solidarité à chaque coin de rue et surtout, une joie de vive communicative. Il avait été bien difficile pour la jeune Elena, alors âgé de sept ans, de quitter ce pays qu’elle aimait tant pour être propulsée dans la palpitante New York ! Ses yeux d’enfants s’étaient ouvert aussi grands que des soucoupes volantes lorsqu’à travers la vitre du taxi, elle avait aperçu les buildings qui allaient chatouiller les nuages. La langue ne lui était pas étrangère, sa mère étant américaine, l’anglais n’avait pas de secret pour elle, mais il lui avait fallu plusieurs mois avant d’accepter d’abandonner l’espagnol pour communiquer puis, un beau jour, ses rêves avaient été parsemés de phrases shakespeariennes et au réveil, sa bouche s’était ouverte pour prononcer des mots typiquement états-uniens.

À la maison, la vie se déroulait tranquillement, les Flores étaient venus s’installer dans la Grande Pomme, car Elizabeth, la mère de famille, avait dû rentrer au bercail afin de prendre soin de ses parents dont la santé était devenue fragile avec les années. Javier mit du temps à s’acclimater, lui qui n’avait jamais quitté sa ville natale se retrouvait dans un monde étranger, loin de ce qu’il avait toujours connu, entouré de personnes si différentes de celles qu’il avait jusqu’alors côtoyées. Son diplôme d’architecte ne valant rien dans ce pays développé, il avait dû se rabattre sur un emploi ne demandant aucune qualification, quant à Elizabeth, son rêve de photographies avait été enterré avec leur départ du Mexique. Les membres de la famille étaient heureux, le plus important étant d’être ensemble, unis et présents les uns pour les autres. Les enfants grandirent en ne manquant de rien. Pavel était immense, Elena minuscule, il était secret là où sa sœur se livrait comme un livre ouvert, si différent mais tellement complémentaire et surtout, ils étaient comme les deux doigts d’une seule main, toujours fourrés ensemble, à se chamailler ou à faire des bêtises sans importance, comme tous les enfants de leurs âges. Puis vint l’adolescence. L’aîné se referma sur lui-même quand la cadette s’épanouissait tel un tournesol tourné en direction du soleil. Elena était bien dans sa peau, bien dans sa tête, tout lui réussissait. Les études semblaient être un jeu d’enfant et depuis ces quinze ans, et une soirée dansante, communément appelée boom à l’époque, elle filait le parfait amour adolescent avec Zac. Leurs regards s’étaient accrochés sous le stroboscope installé dans le garage d’une amie en commun. Ils avaient alors partagé une danse et aujourd’hui, c’était un appartement, un compte bancaire, une voiture et plus de treize ans d’amour parsemé de haut et de bas, comme dans tous les couples. Mais durant leurs quelques pauses, chacun avait eu le loisir de comprendre que l’autre lui manquait et ils s’étaient retrouvés, le sourire aux lèvres et la larme à l’œil, prêt à reprendre là où ils s’étaient arrêtés.

La jeune femme avait entamé des études de pharmacologie. Son truc à elle, c’étaient les sciences, la chimie, les éprouvettes, les béchers, les analyses alors c’était naturellement qu’elle s’était tournée vers cette discipline. Pourquoi avoir changé de cursus ? La réponse était simple et tenait à un prénom : Pavel. Son grand frère, celui avec qui elle avait grandi et qui lui avait appris que dans la vie, il fallait suivre ce que le destin nous dictait. C’est ce qu’elle avait fait quand, âgé de vingt ans, un agent en uniforme avait frappé à la porte de l’appartement familial pour faire une triste annonce. Depuis quelques années, l’aîné de la famille vivait des instants compliqués, sa vie lui semblant trop lourde à porter, son cœur trop fragile pour réussir à traverser les méandres et les difficultés que tout un chacun doit supporter, il avait trouvé refuge dans un monde rempli d’illusions. Pavel était tombé dans la drogue et son corps, inerte, venait d’être retrouvé dans un squat avec une aiguille plantée dans le bras. Dire que la famille Flores était tombée de haut ce jour-là aurait été faux. Elena ne comptait plus le nombre de fois où elle s’était retrouvée dans des ruelles glauques à la recherche de son frère, ni les lieux sordides dans lesquels elle l’avait retrouvé plus d’une fois. La mort d’un toxicomane n’intéressait personne, mais elle, du haut de son mètre cinquante-trois, elle avait décidé de prendre les choses en main. Finies les études supérieures, sa licence en poche lui suffisait amplement pour déposer son dossier à l’école de police avec pour nouveau but de rentrer dans la prestigieuse section scientifique. Pourquoi se contenter d’essayer d’aider les malheureux étant déjà sous l’emprise d’une addiction alors qu’on pouvait s’attaquer directement à ceux responsables de la mise sur le marché de ses soi-disant "facilitateurs de vie" ? Ses parents avaient eu du mal à comprendre son choix, craignant qu’elle n'emprunte une voie trop dangereuse alors qu’ils avaient déjà perdu un enfant, mais après plusieurs longues discussions, ils furent ravis de se rendre compte que ce chemin lui tenait tant à cœur. Et puis, Elena ne risquerait pas sa vie en courant après les malfrats, elle œuvrerait dans l’ombre, à l’abri des murs de son laboratoire.

Elle aimait décortiquer les preuves qui s’accumulaient sur son bureau et qui envahissaient son laboratoire. Lorsqu’elle parvenait à faire parler une particule, une empreinte, une mèche de cheveux, une substance étrange et inconnue, alors là, elle sautait de joie et pouvait enfin s’adonner à une danse de la victoire qui lui était propre. Car oui, la jeune Américano-Mexicaine avait ses petits rituels. Il était hors de question de ne pas lancer la musique quand elle travaillait tout comme il lui était parfaitement impossible de ne pas se mettre à se déhancher dès lors qu’elle trouvait la solution au problème posé. Heureusement qu’au sein de la police scientifique de New York, chaque laborantin disposait de son propre espace, car déjà que ses collègues de travail la regardaient systématiquement avec étonnement quand elle débarquait avec ses tenues colorées et ses talons hauts, c’eut été d’autant plus déroutant pour tous ces intellos de la voir sautiller sur place avec un énorme sourire face à ses découvertes. Elena mettait un point d’honneur à se montrer professionnel, sérieuse et studieuse en présence des autres membres de son unité, préférant ne pas faire preuve de trop d’enthousiasme devant la résolution d’une affaire. La demoiselle faisait ce qu’elle avait toujours voulu faire, elle œuvrait pour le bien, elle participait à mettre sous les verrous les monstres qui pullulaient en ville. Elena aimait faire les choses à sa manière, ses méthodes étaient souvent peu orthodoxes et c’était régulièrement qu’elle se retrouvait sur une scène de crime sans autorisation, car elle était persuadée d’être passée à côté d’un élément capital. C’était cette manie de ne jamais rien lâcher qui avait fait qu’on l'avait remarqué, son boulot était toujours impeccable, rapide et précis. Mais lorsqu’on était venu la chercher, la dérangeant au milieu d’une analyse ADN, Elena avait été surprise, et elle n’allait pas finir de l’être…

« Vous voulez que j’infiltre le cartel de Las Chiapas ? », un rire nerveux était venu fendre le silence de la pièce jusqu’à ce qu’un homme s’approche d’elle pour lui expliquer le plan. Les Mexicains étaient puissants, dangereux, elle en avait eu la démonstration récemment lors d’une enquête sur une fusillade en pleine ville. Au départ, toute l'unité pensait qu’il s’agissait d’une simple incartade de la part des jeunes de ce quartier mal famé, mais Elena avait trouvé des indices contradictoires alors, en dehors de ses heures de travail, elle s’était à nouveau rendue sur place. Les prélèvements effectués avaient parlé, il n’y avait aucun doute sur le fait que ces trafiquants de drogues reconnus étaient sur les lieux au moment du délit. Ses supérieurs avaient besoin de quelqu’un avec des connaissances en biochimie, en génétique et tout ce qui avait à trait à la pharmacologie et surtout, ils voulaient une personne ne soulevant aucun doute. Effectivement, il marquait un bon point, car qui pourrait soupçonner une jeune et jolie fille, souriante et avec le regard pétillant d’être de la police ? Non, clairement, elle ne ressemblait nullement à un membre des forces de l’ordre avec ses tenues acidulées.

« J’imagine que le fait que je sois née au Mexique vous semble parfaitement adapté. Tout comme le fait que je sois capable de reconnaître les composants de leurs drogues et de les recréer sans difficulté. », elle n’était pas dupe, son curriculum-vitae et son parcours professionnel pouvaient paraître atypique et il était clair qu’elle n’avait rien d’un agent infiltré, néanmoins, s’il fallait enfiler le costume d’une étudiante souhaitant arrondir les fins de mois en jouant les apprentis chimiste, elle en serait capable ! Ces nombreuses années d’art dramatique allaient lui servir, sans oublier les scènes ouvertes d’improvisations où elle se rendait chaque semaine. Car si Elena n’était pas friande des mensonges dans sa vie de tous les jours, se glisser dans la peau d’un personnage le temps de quelques heures faisait partie de ses hobbies. La jeune femme aimait s’imaginer vivre la vie d’une autre, jouant avec les expressions, le timbre de sa voix et les différentes attitudes qu’obligeait ce genre de passe-temps. Cependant, à aucun moment, elle ne s’était vu en faire un métier, ni devant une caméra, ni pour les bienfaits d’une enquête, mais si telle était le dessein que lui réservait Dieu… Était-ce une évolution de poste intéressante ou un cadeau empoisonné ? Flûte alors, elle se revoyait âgé de onze ans, quand en déballant une pochette-surprise, l’enfant qu’elle était alors s’était retrouvée avec une Batmobile miniature à la place de la nouvelle paire de chaussures pailletées pour sa Barbie. Déjà à l’époque, le dilemme avait été grand, mais aujourd’hui, elle savait qu’elle prendrait exactement la même décision, celle de faire avec ce qu’on lui proposait.

« Qui sera mon contact ? », les dés étaient lancés, elle venait de suivre la voie qui s’offrait à elle, aussi étonnante soit-elle.