Il déconne à plein tube, on a beau le menacer, ça ne semble pas lui faire beaucoup d’effet. Sa dette ne cesse de s’amplifier, on fait quoi ?

Qu’est-ce que ça pouvait bien le saouler quand on venait le voir pour un truc aussi bateau… Ca, c’était la base. Normalement, avec une bonne équipe, Joachim n’aurait même pas à les écouter raconter ce genre de problèmes car ils auraient assez d’autonomie et de perspicacité pour régler ça eux-mêmes, seuls, et facilement. Depuis le temps qu’ils bossaient pour le cartel, ils savaient comment ça fonctionnait, non ? Ce Samuel, Joachim ne le connaissait pas, il ne savait rien de lui et honnêtement, il s’en foutait. Il avait assez d’emmerdes comme ça et d’autres chats à fouetter qu’une mule qui prenait plus son pied à foutre son nez dans la came que de tenter de se sortir de son propre merdier. Les menaces à son encontre ne fonctionnaient pas ? Étape 2 : ses proches. La plupart du temps, ça faisait réagir, et les récalcitrants devenaient soudainement plus dociles. Et puis, il y avait cette part infime d’idiots qui ne réagissait toujours pas, et comme le cartel devait montrer qu’ils ne plaisantaient pas, ça partait loin, très loin…Trop loin. Le jeune héritier priait souvent pour ne pas arriver à cette étape 3, mais parfois, il n’y avait plus le choix. Pour l’heure, il allait falloir trouver un moyen de pression, et après un soupir, Joachim finit par leur répondre :

Trouvez-moi le point faible…

Quelques jours plus tard, ils étaient revenus avec un nom, des adresses. Rosalie Aubry. La famille de sang, ça faisait souvent davantage réagir que l’amourette de passage. Une sœur, une mère, c’étaient les principales cibles dans ce genre de cas. Joachim abhorrait avoir recours à ce genre de subterfuge, et d’avoir à endosser ce rôle, d’autant qu’il ne devrait, théoriquement, ne pas avoir à le faire puisqu’il avait des hommes pour ça. Mais paraît-il qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même.

J’ai l’adresse de son boulot, elle doit encore y être à cette heure, Lança un de ses hommes alors que Joachim acquiesçait d’un signe de tête. Ce n’est que lorsqu’ils arrivèrent près de l’école que le mexicain commença à tiquer, que pouvaient-ils bien faire ici ?

Vous avez dit qu’elle s’appelait comment ?

Aubry, Rosalie, elle doit être jolie avec un prénom pareil, répliqua le type avec un rire gras alors que Joachim commençait peu à peu à blêmir.

Il n’avait pas fait le rapprochement un seul instant. Après tout, combien y avait-il de chance pour que la jeune femme qu’ils allaient « voir » soit l’institutrice de son fils ? Il ne l’avait vue que rarement, et quand Jarod en parlait il disait « la maitresse », ce n’est qu’en arrivant sur place que le déclic se fit dans son esprit. Il espérait bien que cette histoire se règlerait sans heurts car une fois encore, il se retrouvait dans une situation compliquée…Tout ça à cause d’une bande d’incapables qui ne savent pas gérer une situation aussi simple. Il n’avait plus qu’à espérer qu’elle ne se souvienne pas de lui, après tout, il ne venait pas très souvent, et avec son petit aller-retour en prison, il avait loupé la rentrée, et pas mal d’autres petites choses… Les véhicules se garèrent sur le parking de l’école et l’un d’eux signala que la voiture de la jeune femme se trouvait à quelques mètres de là.

Ok, je m’en occupe…

Honnêtement, il préférait largement la voir en tête à tête qu’entouré de ses gros bras, surtout en sachant qu’elle pouvait le reconnaître et connaissait son fils. Le cartel ignorait son existence et il espérait bien que cela reste ainsi. Il s’était appuyé contre le capot de la voiture de la jeune femme, attendant qu’elle sorte, mais lorsqu’elle arriva près de lui, elle semblât prise de panique. Certes il n’avait pas le look du genre idéal mais tout de même ! A moins que ce ne soit le fait que trois grands gaillards à l’allure menaçante se trouvent non loin… Elle tenta de retourner à l’intérieur du bâtiment mais il ne fallut pas bien longtemps pour que l’un de ses hommes ne la rattrape et la maitrise. Il lui amena la jeune femme et Joachim prit la parole.

Si vous voulez bien éviter de me compliquer la tâche, ça m’arrangerait, énonça-t-il d’un air passablement las et détaché. Il fit quelques pas pour se rapprocher d’elle et releva son visage en glissant deux doigts sous son menton.

Auriez-vous quelque chose sur la conscience pour fuir de la sorte ? Demanda t-il, s’interrogeant sur le fait qu’elle puisse être au courant des conneries de son frère.


* Les paroles de Joachim sont en vert.

Pardonnez-moi, la prochaine fois j'apporterai un bouquet de fleurs, ça paraitra sans doute moins agressif. Répliqua t-il du tac au tac, gardant son sérieux alors que ses hommes s'étaient mis à rire à cette remarque. Ce qu'il détestait avoir à faire ça... Et paradoxalement, c'était comme une seconde peau. Une fois entré dans le personnage, il était capable du pire, il le savait, il en avait parfaitement conscience. Il avait beau tenter de trouver des astuces pour ne pas partir dans les extrêmes, il n'ignorait pas que, dans certains cas, ce n'était pas possible. Pour le coup, il ne pouvait qu'espérer que ce Samuel rentre dans le rang afin de ne pas le forcer à aller trop loin...

Vous n'avez rien à voir avec tout ça ? Vraiment ? Vos mots semblent sous-entendre le contraire étant donné qu'aucun de nous n'a encore exposé la raison de notre venue. Alors, dites-moi si je me trompe, mademoiselle Aubry. Vous savez pourquoi je viens vous voir vous plutôt que votre imbécile de frère, n'est-ce pas ?

En évoquant son frère, cela pourrait lui mettre la puce à l'oreille mais avait-elle réellement connaissance de ce dans quoi celui-ci s'était embarqué ? Peut-être pas. Et il était bien possible que Joachim soit celui qui le lui apprendrait. Le type qui l'avait maitrisée eut la charmante idée de laisser ses doigts glisser sur les courbes de la jeune femme et celle-ci ne s'en laissa pas compter, ce qui fit doucement sourire Joachim. Le coup de talon sur le pied de Perez eut un effet boomerang car il bouscula la brune qui atterrit contre Joachim. Il l'attrapa par les bras pour la retenir et la maintenir alors qu'il reprenait la parole, ne quittant pas la jeune femme du regard.

Une vraie petite sauvage... Glissa t-il à mi-voix juste à son intention, affichant un petit sourire amusé. Il poursuivit, toujours sur le même ton : Les choses peuvent très bien se passer, ou très mal. Tout dépend de vous. Je trouverais vraiment dommage d'abimer un aussi joli visage.

Ses propos étaient limpides. Il n'y avait aucune menace voilée. Il s'attendait à une réaction brutale et la maintenait fermement. Après tout, dans une telle situation, qui ne chercherait pas à s'échapper ? Rares étaient ceux à se soumettre si facilement. Il ne perdait pas de vue son objectif, qui était double en cet instant. Elle devait devenir un moyen de pression pour faire plier son frère, certes. Mais si elle évoquait Jarod, il serait clairement dans la merde. Alors, il n'avait pas cinquante solutions possibles, il devait se retrouver seul avec elle, au cas où elle aurait la mauvaise idée de tenter de l'attendrir en parlant de son fils, mieux valait que ça se fasse en tête à tête.

Si t'es en manque, Perez, il faudra t'en trouver une autre. Celle-ci est pour moi. Je m'en occupe, rentrez. Ordonna t-il sans quitter la brune du regard. Toi, tu viens avec moi. Exit le vouvoiement et les manières. Il l'avait prise par le bras et l'entrainait vers sa voiture qu'il avait déverrouillée, la poussant sur le siège passager avant de claquer la portière. Il s'engouffra à la place conducteur et verrouilla le véhicule, ne démarrant pas tout de suite.

N'essaye même pas de tenter de fuir ou de faire quoi que ce soit qui pourrait, réellement, me mettre en colère. Ma patience est limitée.

Il mit alors le contact et retrouva rapidement la route vers l'une de leurs planques tandis que ses hommes étaient probablement en train de faire des paris sur ce que Joachim allait faire d'elle. Au vu de ses propos ambigus, ils allaient certainement s'imaginer qu'il voudrait passer du bon temps avec la brune, mais en réalité, tout ça, ce n'était que du bluff. Joachim n'était pas un animal, et il n'avait jamais touché quiconque sans son consentement par contre, au vu de son attitude, il y avait fort à parier pour qu'une partie du cartel pense qu'il n'était pas très fidèle à sa "fiancée".

Bien, on va pouvoir parler tranquillement. Tu sais que ton frère a une dette de la taille du mont Rushmore à rembourser ? Tu t'imagines bien que s'il l'avait contractée auprès d'une banque, nous ne serions pas là. Mais tu vois, si je me retrouve ici aujourd'hui, ce n'est pas par plaisir. Ce serait tellement plus simple si cet imbécile faisait en sorte de rentrer dans le rang...S'il se tenait à carreaux. Mais non. Au lieu de rembourser sa dette, il s'enfile la marchandise. Et on sait tous les deux qu'on ne peut pas tirer grand chose d'un camé. Alors, dis-moi, as-tu une petite idée de la façon dont tu pourrais m'aider à résoudre ce problème épineux, ma chère Rosa ?

Il tourna la tête pendant un instant vers elle, un air particulièrement sérieux et grave sur le visage. Non, il ne plaisantait pas. Il lui laissait la parole et une opportunité de se sortir de là sans trop de casse. A elle de voir si elle allait la saisir ou non.

Ta ceinture. Ajouta t-il en faisant un petit signe du menton. Ce n'était pas parce qu'il l'avait embarquée de force qu'il fallait prendre le risque qu'elle traverse le pare-brise en cas de freinage un peu trop violent ! Il reporta son attention sur la route, restant à l'écoute de ce qu'elle pourrait lui dire si tant est qu'elle parvienne à trouver une solution satisfaisante.

C'était toujours la même histoire. "Mon frère n'a rien fait de mal, mon frère est honnête, mon frère est le plus parfait des grands frères, bla-bla-bla"... Combien de fois l'avait-il entendu ce discours ? Il ne réagissait même plus quand on lui disait ça mais il ne pouvait cacher le fait qu'il était dépité. Un soupir s'échappa d'entre ses lèvres lorsque la brune commença à s'agiter, bientôt remplacé par un léger rire en voyant Perez être déstabilisé par le coup de talon de la jeune femme. Elle atterrit dans ses bras, se mettant à se tortiller pour échapper à sa poigne. Joachim la toisait, tentant de la maitriser mais il devait bien avouer qu'elle se débattait comme un beau diable. Un petit sourire était apparu au coin de ses lèvres alors qu'il lui intimait de se tenir tranquille, ce qui serait moins douloureux pour elle. Joachim abhorrait quand il devait user de violence sur des gens qu'il considérait "innocents", mais il y avait des circonstances qui faisaient que, s'il n'avait pas le choix, il le ferait.

Il l'avait entrainée jusqu'à son véhicule sans le moindre ménagement, et une fois à l'intérieur, il s'était assuré qu'elle ne fasse pas une folie du genre de vouloir sauter en marche ou de profiter d'un arrêt à un feu pour s'échapper. Il prit alors la parole, lui balançant les informations principales, celles qu'elle avait besoin de connaitre pour savoir dans quoi elle venait de mettre les pieds malgré elle. Elle semblait découvrir tout cela et elle l'interrogea sur le montant de la dite dette.

Il me doit cinq kilos d’héroïne. Tu as une idée de combien coûte un kilo de cette magnifique poudre blanche ? Allez, j'arrête le suspense... Un peu plus de 7000 $. Je te fais le calcul ou ça va aller ?

Pour le moment, Joachim était encore à peu près détendu, il avait une idée bien précise en tête, un lieu de rendez-vous où peu de ses hommes devaient se trouver en cette heure. Une fois sur place, il contacterait le fameux Samuel, et il verrait rapidement s'il était réellement le grand frère si parfait qu'elle semblait croire. Il était rare de ne pas avoir de réaction lorsqu'un membre de la famille était "pris en otage", restait à voir comment les choses se dérouleraient, si ça le faisait rentrer dans le rang. Et Joachim espérait réellement qu'une simple frayeur suffirait, mais il savait aussi comment ça se passait quand les mules ne faisaient pas que transporter la marchandise mais qu'ils la consommaient... C'était risqué, ça pouvait déraper, et c'était aussi pour ça qu'il préférait gérer lui même. Il avait conscience que certains de ses hommes avaient bien moins d'états d'âmes que lui, allant jusqu'à envoyer des mères ou des sœurs dans le réseau de prostitution ou s'amusant avec elles pour leurs propres plaisir, tuant et torturant des pères, des frères... Ce genre d'histoire pouvait vite tourner au carnage. La famille, c'était un point sensible pour une grande majorité des gens et il n'en était pas exempt. Lorsqu'elle avait évoqué Jarod, son sang n'avait fait qu'un tour et sa main se serra sur le volant. Elle voulait l'amadouer ainsi ? Grossière erreur. Il freina brutalement, la voiture faisant une légère embardée et il planta son regard dans le sien. Il était plus froid que jamais.

Évoque encore une fois mon fils, ne fais qu'un sous-entendu sur lui, et je te promets que ce sera la dernière chose que tu diras. C'est clair ?! Dis-le. Dis. Que. C'est. Clair.

Siffla t-il d'une voix ferme et menaçante.

Si elle pensait toucher la corde sensible, c'était réussi, seulement la réaction n'était très certainement pas celle à laquelle elle s'attendait. Joachim était prêt à tout pour protéger son fils, pour que jamais quiconque au cartel ne connaisse son existence et surtout pas son père. Il ne le connaissait que trop bien, il savait qu'il se réjouirait que la descendance soit assurée, que sa relève soit assurée...Mais Joachim, il avait d'autres ambitions pour son fils, celles de lui offrir une vie normale, de lui laisser le choix, que contrairement à lui, sa vie ne soit pas toute tracée. Il rêvait, pour lui, de cette liberté qu'il n'avait pas eue, de cette insouciance, de cette capacité à vivre en paix et à faire ses propres choix.