La chute est elle toujours inevitable ?

La journée avait été longue et j’avais hâte de rentrer chez moi, en espérant que ce chez moi ne soit pas dévasté. Laisser Carmelo seul avec notre chien pendant ma garde m’a donné l’impression de devenir une maman angoissée sans savoir pour lequel des deux je m’inquiète le plus.  Refusant exceptionnellement de passer par un bar, j’enfourche ma moto et prends les petites routes du Queen pour aller vers Brooklyn, espérant pouvoir m’offrir le doux luxe d’une petite pointe de vitesse s’il n’y a pas trop de circulation.

C’est en passant sur un pont peu fréquenté a cette heure tardive que je la vois malgré moi. Fine silhouette, a peine visible, dans la nuit sur ce pont désert. Si l’envie d’oublier, de me persuader que c’est une illusion est là, ma conscience de pompier m’empêche de juste passer mon chemin pour retrouver mon lit.  Je peste dans mon casque.

« Et merde ! »

Pour n’importe qui d’autre, ce n’est surement rien, mais mon instinct me hurle de m’assurer qu’une femme seule, ici, n’est pas un drame en devenir. Je fais donc demi-tour et gare ma précieuse Harley sur le bas côté. Je marche un peu dans la pénombre, commençant à douter de mes sens et hésitant a reprendre ma route avant de la retrouver.

J’ai un temps d’arrêt devant ce qui ressemble presque a une apparition. Devant moi, les pieds de l’autre coté de la balustrade, sans aucun obstacle entre les eaux sombres et froide de East River, se trouve une jeune femme. Le vent joue avec ses longs cheveux blonds et le peu de lumière me suffit pour deviner la pâleur de son visage ainsi que ses yeux rougis. Elle n’est pas assez couverte pour faire face a la fraicheur de l’air glacial de cette fin d’hiver mais c’est, en cet instant, le dernier de mes problèmes. Je m’approche tranquillement tout en veillant a ne pas la faire sursauter ou être trop prés.

« Bonsoir… n'ayez pas peur, je ne m'approche pas plus...»

Je pose mes coudes sur la rambarde du pont, a juste 2 m d’elle, pas certain d’être assez rapide si elle décide de se jeter. Pour le moment, mes prunelles balayent le panorama et surtout l’eau en contrebas, avant de poser mon regard, a nouveau, sur elle.

« C’est une chouette vue, mais je ne suis pas sûr que ça soit la bonne saison pour une baignade, vous ne pensez pas ? »

Tout en parlant, je retire très calmement ma veste et la pose sur la rambarde. J’adore cette putain de veste et le cuir sera foutu en cas de baignade. Pour autant, c’est sans arrière pensée que je la pousse un peu vers la jeune femme :

« Il fait froid, vous pouvez la prendre si vous voulez… »

C’est en lui souriant, et avec un brin d’humour, pour éviter de dédramatiser ce qui se passe, que j’essaye de lui demander :

« J’imagine que ça ne me regarde pas vraiment, mais j’apprécierais que l’on discute un peu histoire que je sache pourquoi je risque de piquer une tête ce soir ? D’ailleurs, je ne dis pas non pour savoir comment vous vous appelez. Moi c’est Roman…»

Je n’ai jamais été de ceux qui font semblant de comprendre ou qui promettent sans savoir que ca va s’arranger. Je n’ai pas cette prétention. J’aime qu’on me laisse une chance de comprendre mais dans le doute, je préfère toujours me préparer au pire.