Pieces from the past (Laura)

@Laura Moreau & Matilda Clarke

Pieces from the past

La tête appuyée contre la vitre, elle regarde les rues de New York défiler, soulagée, parce qu’elle a dû courir comme une dératée pour avoir son bus. C’est vrai, c’est plus long que le métro, mais elle préfère quand même parce que ça lui évite d’être sous terre. Pour un peu, elle pourrait s’endormir. C’est qu’elle est fatiguée Tilly, épuisée par l’école combinée au stage, en plus du temps de transport. C’est pour la bonne cause, c’est sûr, pour se rapprocher de sa mère, mais parfois elle serait bien tentée de dire toute la vérité, juste pour plus avoir à cumuler tout ça. Pourtant elle peut pas, pas maintenant, c’est beaucoup trop tôt et c’est tout juste si elle commence à connaitre Alexis. Quant à son père, elle a pour le moment encore aucun indice. Et si elle dévoilait tout maintenant et que sa génitrice réagissait mal ? Ce serait prendre le risque d’être laissée sur le carreau et de devoir tout recommencer. Mais surtout, c’est quelque chose qu’elle est terrorisée à l’idée de l’entendre. Alors non, elle continue, en espérant pouvoir tenir la distance et ses mensonges, plus gros chaque jour qui passe. Elle a bien réussi à trouver quelqu’un au lycée pour lui apprendre à ce servir d’une machine à coudre, mais si le talent se transmet il est probable qu’il ait sauté une génération parce que pour le moment elle s’en sort pas très bien la gamine. Un jour ou l’autre, ça va bien se voir qu’elle y connait rien à tout ça, que son petit jeu c’est que du cinéma.

Elle se perd dans ses pensées, s’assoupit presque. Et soudain, elle relève la tête, totalement réveillée, parce qu’elle réalise qu’elle reconnait pas du tout l’endroit où elle se trouve. Il lui faut pas longtemps pour comprendre qu’elle s’est trompée de bus. Elle a couru et est sans doute montée trop vite, avant d’avoir bien regardé le numéro et la direction. Quelle idiote ! Elle bondit, attrape son sac et se dépêche de sortir à l’arrêt suivant. Sauf que maintenant, elle est dehors sans trop savoir où et en plus il fait nuit. Elle sort son téléphone de sa poche pour pouvoir se repérer. A peine a-t-elle le temps de réaliser qu’elle se trouve dans le Bronx, que l’appareil s’éteint, faute de batterie. « Non non non ! » Appel désespéré qui n’obtient pas de réponse. Et maintenant, qu’est-ce qu’elle va faire ?

Marcher. Essayer peut-être de trouver une bouche de métro. Elle demanderait bien son chemin, mais elle se trouve dans un coin relativement désert et surtout, elle est pas rassurée. Elle a entendu un tas de choses peu avenantes sur ce quartier, ce qui la met pas vraiment en confiance. Elle continue pourtant, sans trop savoir où aller. Elle espère surtout tomber sur un magasin ou un restaurant, bref un commerce où elle pourrait se faire aider, mais il faut croire qu’elle est en zone plutôt résidentielle parce qu’il y a que des immeubles d’habitation. Il lui faut encore un temps pour se rendre compte que quelqu’un marche derrière elle depuis un petit moment. Elle a l’impression qu’un seau d’eau glacée lui tombe sur la tête. Mais non, elle doit se faire des idées, c’est pas possible que ça arrive. Elle finit pourtant par se retourner, brièvement et son coeur manque un battement quand elle le reconnait. Enfin son sweat plus précisément, un sweat rouge avec un énorme smiley jaune qui l’avait fait sourire dans le bus. Sauf que là, elle sourit plus du tout.

Elle accélère le pas, tout en cherchant du regard quelqu’un, qui que ce soit pour la sortir de là. Elle s’est jamais sentie autant vulnérable, autant en danger, parce qu’il continue de la suivre, même quand elle change de direction pour vérifier. Elle réalise qu’il pourrait arriver n’importe quoi et que personne verrait rien, personne saurait. La panique l’envahit, mais elle continue, elle a pas le choix de toute façon. Elle se rappelle des conseils de ses parents si ça lui arrivait: trouver quelqu’un et demander de l’aide ou entrer dans un commerce. Elle est pas croyante, mais là elle prie, de toute ses forces. Et peut-être que quelqu’un l’a entendue, parce qu’elle aperçoit soudain une supérette, de l’autre côté de la rue. Elle sait qu’il la suit toujours, alors elle continue d’avancer, de marcher, jusqu’à être en face de la devanture. Et soudain, sans prévenir, se met à courir, traverse la rue juste avant qu’une voiture passe et entre dans le commerce.

Elle sait pas s’il la suit encore. Elle a pas cherché à se retourner. Elle fonce vers une jeune femme blonde qu’elle aperçoit en train de ranger les rayons, soulagée de pas avoir un homme face à elle après ce qu’il vient de se passer. « Madame… pardon… est-ce que vous pouvez m’aider ? Y a quelqu’un qui me suit dans la rue… » Elle est essoufflée, au bord des larmes et reconnait à peine sa voix, tremblante, saccadée. Elle est si prise par la panique qu’en fait elle a à peine pris le temps de regarder l’employée du magasin. C’est que maintenant qu’elle pose vraiment les yeux sur elle qu’elle réalise à quelle point elle lui est familière et elle tarde pas à pouvoir y poser un nom. « Laura ? Laura Cardinale ? » Ca alors, la retrouver ici, après tout ce temps… « Je sais pas si tu te souviens de moi… je suis Tilly Clarke, tu me gardais quand j’étais petite. » continue-t-elle, cette fois en français. Parce qu’elle est bel et bien certaine que c’est elle.  

Laura & Matilda

Pieces from the past

Il l'avait retrouvée. Cet homme qu'elle pensait avoir fuit, celui qui malheureusement pour la demoiselle, portait le même sang qu'elle. Une visite indésirable qui avait précédé une nuit sans sommeil, l'angoisse s'assurant de la garder en éveil. D'un regard sur son salon elle le voyait encore là, accompagné de Billie, cette fille qu'elle avait espéré pouvoir un jour considérer comme une amie. De nouveau il avait tout gagné, à croire que ce dernier ne pouvait jamais perdre, car de sa simple présence la folie l'avait envahie avec aisance. Une peur panique qui l'avait manipulée telle une pantine, irraisonnée de par son anxiété. Prenant ainsi l'image d'une folle pour le plus grand plaisir de ce dernier. Elle qui commençait à peine à croire à nouveau en la vie, qui commençait à être certaine d'être enfin libre après 5 années sans être retrouvée, ne pu supporter le choc d'un seul coup le revoir. Tous ses espoirs envolés, alors qu'elle s'y était tant accrochée, il ne lui restait plus que ses yeux pour pleurer. Revoir ce frère abusif lui avait suffit pour comprendre que tout était fini, qu'elle ne pourrait jamais se débarrasser de lui. Fuir encore une fois ? A quoi bon ? S'il avait réussi à la retrouver en Amérique, malgré toutes ses précautions, alors il saurait le refaire, qu'importe le pays. Et de toute façon, cette fois, elle était démunie, puisqu'à présent sa grand mère qui l'avait jusque là tant aidée ne pouvait plus rien faire pour elle. Une cage et un deuil à supporter, voilà de quoi manquer d'air.

Laura passa sa nuit sur son canapé, prise de fatigue mais incapable de s'endormir, n'ayant que la télévision pour faire passer le temps. C'est fou ce qu'on peut en apprendre en une nuit, entre la danse contemporaine, la faune et la flore et même les rediffusions culinaires, de quoi éveiller l'appétit des insomniaques, ce qui malheureusement n'aura pas fonctionné sur la jeune femme. Une nuit où elle ne fit que regarder, puis zapper, dans l'espoir que Max ne revienne jamais frapper à cette porte. S'étant même emmitouflée dans sa plus grosse couverture, bouclier factice, mais dont la chaleur parvenait à la calmer. Ce ne fut que lorsque le jour commençait à pointer le bout de son nez qu'elle sentait enfin ses yeux devenir suffisamment lourds pour lui apporter un peu de repos, le pire des timings pour elle qui devrait bientôt partir en boulot. Elle décida d'en profiter malgré cela, tant que faire se peut, après s'être assurée que de nombreuses alarmes seraient là pour la réveiller. Quelques heures pour se reposer, quelques heures pour ne plus penser...

Un repos qui, bien que court, lui procurera un bien ressenti lors du réveil, se sentant plus apte à partir travailler, tout en ayant bien conscience que cela ne lui suffirait pas pour toute la journée. Puis comme d'habitude, mettre ces fringues qui ne la mettent pas tellement en valeur, pour qu'aucun homme ne s'intéresse à elle. Elle qui de toute façon avait perdu autant de poids que de formes. Et ensuite ne se coiffer qu'un minimum, afin d'être un brin présentable sans en faire plus. Elle ne voulait plus que qui ce soit la trouve jolie, Laura. Que plus personne ne la touche. Ce n'est d'ailleurs qu'une fois enveloppée dans un manteau épais que la blonde quitta sa demeure, trouvant enfin le courage d'aller affronter le froid matinal, ainsi que les gens, et tout ce qui lui faisait peur depuis 5 ans, une lutte à laquelle elle devait se confronter chaque jour si elle voulait avoir un toit au dessus de sa tête. Retourner faire ses heures dans cette petite boutique que le temps rongeait, mais qu'aucun habitué ne quittait, ces derniers revenant toujours chercher cette petite chose qui leur manquait, des petits bonus que l'équipe gardait volontiers.

La jeune femme s'attendait déjà à les revoir lorsqu'elle passa la porte, sachant à l'avance que, comme toujours, chacun s'amènerait l'un après l'autre une fois qu'elle se serait mise à travailler. Et bien sûr aucun ne manqua à l'appel, ni l'homme au chapeau, ni la mamie du coin. Cette dernière qui aura, au fil des années, offert de nombreuses gourmandises pour essayer de la remplumer, mais qui n'auront jamais été mangées. Elle avait pourtant promit de le faire, mais la faim n'est pas toujours clémente. Cependant le café ne manquera pas d'être englouti au fil de la journée, d'abord un, puis deux, puis trois. Encore et encore pour que la fatigue ne revienne pas au galop. Toutes ces heures passées devant l'écran retombant sur elle telle une punition bien cherchée, lui rendant le pas lourd et la vision plus trouble. Lui faisant passer l'une de ces horribles journées où la caféine se fait vitale. Un carburant véritable.

Elle n'en avait pourtant pas moins les yeux cernés et le corps faible en fin de journée, de nombreux soupirs témoignant du fardeau que c'était pour elle de finir ses heures ce jour là. Et malgré ça, même si on le lui avait proposé, elle aurait refusé de rentrer plus tôt. La paye était déjà bien trop modeste pour cracher sur quelques dollars supplémentaires. Un sujet sur lequel Laura ne se faisait aucun cadeau. Et pourtant, chaque article soulevé semblait porter deux fois son poids, tout comme le brouhaha ambiant commençait doucement à ressembler à un bruit sourd, comme si à force, tout manquait de sens. La française passa lentement une main sur ses yeux juste avant qu'une voix, bien plus proche cette fois, vint la sortir de son état. Un bond de surprise fit remuer ses épaules avant que sa tête ne se tourne pour observer une petite brune qui mit un temps à lui sembler familier, tant il lui aura fallut scruter ses traits pour s'en rappeler.

Laura en eu les sourcils haussés lorsque la jeune fille se présenta, l'air d'avoir du mal à y croire. Ti... Tilly ? Bien sûr que je me souviens de toi... Redressée, elle posa une main sur son épaule avec émotion. Je pensais que je ne te reverrais jamais... Qu'est-ce que tu viens faire aux états unis ? Avant d'enfin se rappeler de la raison de son approche, son trouble apaisé, passant alors un regard vers la porte vitrée avec inquiétude. Quelqu'un t'a suivit ? Quelqu'un que tu connais ? Tu veux que j'appelle la police ? Tel un instinct de grande soeur, celui-là même  qu'elle avait eu avec Matilda chaque fois qu'elle la gardait, elle eu l'envie de la mettre à l'abri. On peut aller à l'arrière pour discuter si tu veux, tu seras en sécurité là bas. Mais ce n'est que lorsque le regard curieux d'une collègue se posa sur elles que la blonde tilta sur un problème, alors obligée de se pencher vers sa protégée retrouvée pour lui parler d'un ton plus bas. Et, je sais que tu vas trouver ça bizarre, mais s'il te plait, ici ne m'appelle plus Laura Cardinale, ici je suis Laura Moreau... Tout en sachant pertinemment qu'il lui faudra s'expliquer.

@Laura Moreau & Matilda Clarke

Pieces from the past

Elle sait pas trop comment réagir Tilly. Tout ça, c’est trop d’un coup. Elle est encore terrifiée de ce qui vient de se passer, tremblante mais soulagée d’être un peu en sécurité. Pourtant, elle arrête pas de jeter des regards vers les portes du magasin, de peur de voir l’homme qui la suivait s’y glisser. Et puis, il y a la surprise de revoir Laura. Elle est contente, vraiment. Elle s’en souvient bien, de cette jeune fille qui la gardait quand sa propre famille venait en vacances à Lyon. La jolie blonde avait toujours été gentille avec elle, la suivant dans ses jeux, toujours patiente, même quand la gamine se montrait un peu pénible. Elle sourit en constatant que la française se souvient d’elle, qu’elle s’est pas trompée (même si elle était sûre que non), mais son sourire est pas aussi franc qu’il aurait pu l’être. Elle est choquée, déboussolée, si bien qu’elle a du mal à ordonner les mots dans sa tête pour lui répondre. « Oh… c’est une longue histoire. » Qu’elle sait pas si elle arrivera à raconter posément maintenant. De toute façon, Laura enchaine aussitôt, semblant se rappeler de ce qui l’amène ici. Elle prend la chose au sérieux et ça rassure Matilda. La môme s’est toujours sentie en sécurité avec la jeune femme, qui a toujours su être là pour elle quand elle avait peur de quelque chose. « Non… je le connais pas. C’était un homme, mais je sais pas si je saurais le décrire… Il était dans le bus avec moi, j’en suis sûre, et il m’a suivie dans la rue… » Elle a les larmes aux yeux, contrecoup de la peur féroce qu’elle a ressentie. Elle voit les réseaux sociaux Tilly, tous les jours, des histoires d’horreur elle en a lues, entendues. Elle peut pas s’empêcher de commencer à imaginer ce qui aurait pu se passer dans ces rues désertes si elle était pas entrée ici. Et s’il l’attend, dehors? Et s’il la retrouve ?

Mais non, faut qu’elle arrête. Elle se fait encore plus peur. Appeler la police, c’est vrai, ce serait l’option logique, mais elle est un peu réticente la gamine, fruit d’une génération qui a tendance à se méfier de cette institution, en particulier quand aux yeux de certains on est pas née avec la bonne couleur de peau. « Je… je sais pas… je crois pas que je saurais le reconnaitre… » qu’elle répète, et c’est bien vrai. Elle se souvient absolument pas de son visage, seulement de ce sweat-shirt, dont l’image s’est imprimée dans sa tête. Est-ce qu’il avait une capuche ? Peut-être que oui, mais elle est pas certaine. Il lui semble qu’il était grand, seulement à côté d’elle la plupart des gens le sont alors ça veut peut-être pas dire grand chose. Elle est stupide, en fait. A défaut de pouvoir prendre une photo avec son téléphone déchargé, elle aurait dû mieux le regarder, mémoriser ses traits. C’est trop tard maintenant. Alors elle est pas sûre que la police pourra aider, et l’idée même lui fait un peu peur en fait.

Elle acquiesce d’un signe de tête vigoureux à la proposition de Laura. La proximité de la porte continue de la rendre nerveuse et elle se dit qu’elle se sera plus à l’abri là où personne ne pourra la voir de l’extérieur. « Est-ce que je peux charger mon téléphone là-bas ? Comme ça je pourrai appeler ma tante. » Elle connait pas le numéro par coeur, une lacune qu’elle compte bien réparer dès qu’elle sera au chaud chez elle.

Mais voilà que Laura semble soudain distraite et les mots qu’elle lui murmure ont de quoi intriguer l’adolescente qui hausse les sourcils. « Oh euh… d’accord. » chuchote-t-elle à son tour. Que répondre d’autre ? Elle dit rien de plus, mais dans sa tête les questions fusent et elle se retient alors qu’elle suit la jeune femme jusqu’à l’arrière du magasin. C’est vrai que cette dernière était surprise de la savoir dans ce pays, et sur le coup Tilly a pas réalisé que la réciproque est toute aussi vraie. Que fait Laura ici ? Elle se souvient bien maintenant, le jour où ses parents, après une longue conversation au téléphone outre-Atlantique, lui ont annoncé sur un ton grave que la fille de leurs amis s’était enfuie de chez elle, que personne savait où elle se trouvait. A l’époque, pré-adolescente en pleine crise, Matilda avait jugé que la jeune Cardinale avait très bien fait, parce que les parents, vraiment, y avait rien de pire au monde. Qu’à sa place, si elle avait pu, elle aurait fait pareil.
Evidemment, maintenant elle voit les choses bien différemment. Avec le temps, rattrapée par le quotidien, elle avait mis cette histoire dans un coin de sa tête et y a plus pensé depuis un bon bout de temps. Jusqu’à maintenant. Qu’est-ce qui a pu se passer ? Dans son souvenir, les Cardinale étaient des gens très bien, des parents qui lui semblaient très gentils. Est-ce que la réalité était toute autre ? Est-ce qu’ils lui ont fait quelque chose, assez pour qu’elle parte et ne revienne jamais, voire même change de nom ? Elle cogite la gamine, et peut-être que ça la regarde pas. Mais c’est plus fort qu’elle, surtout après les paroles glissées par Laura.

Une fois qu’elles sont seules toutes les deux, Matilda en profite pour mieux la regarder. C’est elle ou la jeune femme a maigri ? Elle est plus sûre de bien se souvenir en fait et elle aurait bien du mal à deviner sa silhouette sous ses vêtements larges, mais son visage lui paraît creusé. « Qu’est-ce que tu fais ici ? Pourquoi t’as changé de nom ? » C’est peut-être un peu trop direct, mais elle est pas en mesure de réfléchir à faire dans la diplomatie, pas après la peur qu’elle a eue. « Tes parents avaient appelés les miens y a quelques années, ils disaient que tu t’étais enfuie… » Elle sait pas trop comment il convient de réagir, si elle doit s’inquiéter ou pas. Est-ce qu’il se passe quelque chose de grave ?