Un café pour des réponses - FT Emma Lockwood

J’ai beau avancer avec une démarche que j’espère assurée, je me sens horriblement mal a l’aise et contrariée alors que j’entre dans ce café. Les raisons sont simples : ma tenue et l’affreuse certitude d’avoir fâché Liam.

En effet, ma garde-robe étant dans le même état que mon appartement, c’est-à-dire saccagée et dans l’attente du versement des assurances. Je dois à mes collègues de ne pas avoir a vivre nue ou dans les pulls de Liam. Elles ont eu la gentillesse de me prêter quelques vêtements mais, outre le fait que leur style est loin du mien, il y a, aussi, celui qu’elles n’ont pas eu d’enfant et ca se ressent beaucoup dans les hauts. Je n’ai jamais retrouvé ma taille de seins d’autrefois et je ne suis que plus serrée dans le petit haut au col en « v » qui me comprime les poumons. J’ai l’impression qu’on ne voit qu’eux. Quant au « jean » qui a plus du collant que d’un pantalon tellement il est près du corps, sans le manteau long et un peu trop chic qui « cache la misère », je n’aurais pas osé le mettre.

D’ailleurs, j’ai vue le regard de Liam en partant ce matin. J’ai bien senti qu’il y avait un problème avec ma tenue. Je lui ai demandé si ça allait pour prendre un café avec un homme que j’allais rencontrer pour la première fois. Même s’il a bredouillé un « oui », rien qu’a son ton et sa posture, je sais qu’il le ne pensait pas. Il est juste bien trop gentil pour me dire en face que je ressemble à un épouvantail. J’aurais dû me changer, j’en suis sure, mais le reste de ce qui est dans les sacs de mes collègues m’ont confié est pire encore.

Pour couronner le tout, je ne sais pas si Liam m’en veut aussi de l’avoir réveillé cette nuit. Faute d’arriver a dormir, je me suis relevée pour chercher sur internet ce que je trouvais sur Jackson Blake. Si j’avais été émue de découvrir que, jeune homme, il avait été investi dans les recherches d’un disparu au Michigan, j’avais été plus refroidie de voir qu’il avait participé à un braquage qui avait fait un mort et l’avait conduit en prison. Le reste n’était que banalités. Pour autant, j’avais aussi cherché des photos de dos de cet homme, zoomant au maximum dans l’espoir que le gable de son arrière train puisse correspondre, ou pas, a celui entrevue sur les photos de Juliette. Je n’étais pas arrivée a une certitude quand Liam a déboulé.  Je me suis sentie aussi coupable que stupide de l’avoir réveillé, surtout quand j’ai croisé son regard qui allait de l’écran, vite refermé, a moi. Bref, je crois qu’il est fâché et regrette de nous avoir proposé de rester chez lui. Ca expliquerait, aussi, sa froideur de ce matin alors que j’ai hésité a lui demander de venir avec moi.

Malgré mes contrariétés, c’est avec un art consommé de cacher mes émotions que je m’avance en souriant vers l’homme qui m’accueille avec gentillesse. Je n’ai pas vraiment coutumière de ce genre d’endroit et encore moins de ce genre de rencontre. La joie de ne vivre que pour mon travail et ma famille en plus de devoir compter le moindre centime : je ne sors plus du tout si ce n’est dans des endroits gratuits et avec mon thermos. C’est avec politesse que je lui réponds :

« M Blake je suppose ? Merci de prendre du temps pour répondre à mes questions, cela sera surement plus simple que par Sms. Ne m’en voulez pas si je suis un peu intimidée, je n’ai pas trop l’habitude d’aller prendre des cafés avec des inconnus.»

Je prends un air amusé pour lui énoncer ce qui est une vérité. Je le suis pour nous installer à une table, non sans prendre le temps de commander un café et lui en proposer un. Même si je dois compter toutes mes dépenses, c’est un petit investissement au regard du fait que cela va surement m’aider à avancer pour retrouver Juliette. Je prends le temps d’observer l’homme. Il a l’air jovial et d’avoir le contact facile, ce qui correspond plus à l’homme inquiet pour un proche, aidant a ses recherches que le braqueur qui fini en prison. Je vois bien sa cicatrice aussi, qui est peut-être un souvenir de sa vie en milieu carcérale. Lui veut aller dans le vif du sujet, moi je préfère prendre mon temps et emprunter des chemins plus détournés pour arriver au but.

« C’est d’autant plus agréable de vous rencontrer que, je ne sais pas si M Cardinale vous a prévenu, je vais venir rejoindre les rangs de bénévoles du centre pour vous aider. Je suis infirmière actuellement, je pense pouvoir vous aider.»

Le serveur arrive avec nos boissons et j’attends qu’il reparte pour continuer d’une voix qui respire la douceur et la timidité :

« Ça vous embête si je vous pose quelques questions sur vous ? Je ne suis vraiment pas très a l’aise avec le concept d’entrée dans le vif du sujet avec une personne que je ne connais pas… J’ai cru comprendre que vous aviez fondé le centre ensemble, M Cardinale et vous. C’est vraiment admirable surtout que Juliette m’en disait le plus grand bien. Est-ce indiscret de vous demander comment vous avez eu cette idée et cette envie ? »

Mes yeux verts se posent sur son visage alors que je mes doigts tentent de se réchauffer sur les parois de ma tasse brulante. La question peut paraitre innocente, surtout posée avec cette pointe de curiosité presque enfantine d’une personne qui cherche juste a se mettre a l’aise. La vérité est toute autre, derrière mon masque, je n’arrête pas de me demander comment une personne qui a fait de la prison en est arrivé la. Qui plus est, si c’est lui « l’amoureux » de Juliette, son silence pourrait s’expliquer par la crainte de voir la police venir lui faire des ennuis.

Je reste droite sur mon siège, me risquant à un regard sur le lieu avant de reporter toute mon attention a l’homme en face de moi. J’ai du mal à savoir dire si les hommes sont beaux ou pas. Maman et mes collègues sont plus promptes a statuer alors que moi, a part Liam… j’ai du mal a vraiment m’extasier comme elles le font. Surement que Monsieur Blake est « un bel homme » vue que la serveuse ne cesse de lui sourire mais est-ce que Juliette l’avait trouvé a son gout ? Est-ce lui « l’heureux élu » ? Je m’en rends compte que je n’en ai aucune idée, je ne l’ai jamais interrogé sur ses gouts en matière de garçon. Elle m’a juste parlé juste du fait que « son mec » était gentil, drôle, sincère et qu’elle était amoureuse comme jamais. Est-ce que l’homme en face de moi peut correspondre a ce portrait ? M Blake essaye de me mettre a l’aise, je lui rends sons sourire et fait « comme si » sauf que je ne le suis pas vraiment.

« J’aime votre vision du "connaitre les gens" Monsieur Blake. »

Le ton a une pointe d’humour, mais dans mon for intérieur, je me demande qui peut s’imaginer connaitre une autre personne juste avec des échanges de sms ? Dans tous les cas je ne peux que saluer ses efforts pour fendre la glace, sauf que je n’oublie pas pourquoi je suis là. Outre le fait que ca doit être la première fois que je viens prendre un café avec un inconnu, il est une piste pour sauver Juliette.

« Vous avez de la chance, je suis plutôt accommodante, je vais tâcher d’essayer de ne pas vous faire sentir trop vieux Jackson. »

Si j’arrive à prendre un ton détendu, calquant un rire léger au siens, mais ça reste tellement bizarre de l’appeler par son prénom. Une fois de plus, en dehors du travail et de la famille, je ne sors pas du tout, pourtant, j’essaye de faire comme si tout était parfaitement normal. Il aurait fallu que Liam soit là, lui est doué pour discuter et faire parler les gens. Dans tous les cas, je ne semble pas faire d’impaire, du moins, jusqu’à maintenant. Des années de mensonges et de besoin de « me fondre » dans la masse font que c’est très naturellement que j’observe ses attitudes, mimique, intonation, pour m’en inspirer. Inconsciemment, j’avais vite compris que les gens se sentaient plus en confiance dans ce qu’ils « reconnaissaient », se concentrant sur les similitudes sans voir le reste.  C’est donc sur le même ton que je réponds a son enthousiasme :

« Je suis ravie de venir vous aider aussi. J’ai cru comprendre que ce n’était pas le travail qui manquait, malheureusement. »

Et je compte bien en profiter pour mettre mon nez un peu partout. L’inspecteur Baxter avait souligné mon souci du détail et pourtant il était loin d’avoir mesuré l’ampleur de ma maniaquerie avec l’administratif. Je ne pouvais qu’espérer en apprendre plus la disparition de Juliette en fouinant jusqu’à trouver des pistes. Le fait qu’elle puisse n’être qu’une parmi tant d’autres me donne froid dans le dos, mais je garde l’espoir que cela soit diffèrent pour elle. Quelque soit les raisons de son conjoint de garder le silence, le retrouver me semble être ma meilleure piste pour me mener a elle.

Je ne vois absolument pas la tentative de Jackson de se montrer « aguichant » en me proposant d’assouvir ma curiosité. C’est d’autant plus maladroit que je lui rends son sourire sans vraiment en comprendre la signification. L’effet miroir fait que c’est avec le même timbre que ses insinuations que je lui réponds :

« Méfiez-vous de-vous de ce que vous me proposer, je serais tentée d’en abuser. »

En fait, la seule chose a laquelle je pense c’est si je pourrais lui demander s’il a un grain de beauté sur les fesses sans avoir a voir son popotin. Une fois de plus je regrette que Liam ne soit pas là, surement que ca aurait été moins gênant si c’était lui qui avait demandé et vérifié. En attendant, tout en le scrutant derrière mon masque de poupée fragile, je l’écoute répondre a ma question sans savoir réellement ce qui me gêne. Peut-être que ca sent le discours trop rodé, trop récité… ou je ne sais pas quoi, mais quelque chose sonne faux dans le fait que cela paraisse si juste a mon oreille de menteuse professionnelle. Je me garde bien de lui dire, préférant prendre une gorgée de café brulant avant qu’il ne me demande un retour de politesse.

« Je vous en pries. »

Je reste impassible a sa question et ne détourne pas mon regard. Une fois de plus, des années de mensonges font que je pourrais être une très bonne joueuse de poker.

« En toute franchise, vous pourriez être la doublure du pape et n’avoir fait que sauver des bébés chat dans votre vie, je vous l’aurais posée. »

Comme avec les SMS, j’ai la sensation qu’il est sur la défensive. Je pense y voir quelques choses d’intéressant sans en être sure. Même si je brule de creuser plus dans cette direction, mon instinct me fait bien sentir la levée de bouclier et me pousse à une approche moins frontale. C’est avec plus de douceur que je continue :

« De vous a moi, Jackson, je veux juste savoir qui vous êtes, parce que j’ai besoin de savoir si je peux avoir confiance en vous, pas seulement en tant que future collègue. Vous êtes peut-être une des dernières personnes qui a vue mon amie avant qu’elle ne se volatilise, ça fait de vous un potentiel témoin. »

Je tente de lui montrer le même visage rassurant que j’offre à mes petits patients, mêmes condamnés par le cancer, quand je dois leur dire que tout va bien se passer alors que je sais pertinemment que non. J’ai besoin qu’il pense qu’il n’est pas suspect pour mieux me faire mon opinion. C’est donc simplement, avec une pointe de détresse que je n’ai pas besoin de feindre que je continue :

« J’aurais besoin que vous me disiez ce que vous savez de Juliette, de ses fréquentations au centre, quand vous sortiez après, si elle avait des connaissances parmi les autres femmes ? Vous avez peut etre vu son « compagnons » sans vous en rentre compte. »