La peinture se melange mieux que les gens

J’affectionne de toujours me rendre dans les expositions dont je suis le mécène personnellement. Certains ouvre le portefeuille sans même chercher à connaitre dans quoi ils investissent, que cela soit pour leur image pour espérer un retour financier conséquent c’est loin d’être mon cas. Grand amateur d’art, je n’ai jamais négligé de prendre le temps de choisir les artistes que je finançais été de suivre leur évolution. Parfois, le business et le plaisir se rejoignent.

C’est la raison de ma présence, ce soir, dans ce vernissage contemporain qui regroupe, entre autres, plusieurs des artistes financées par la branche de mécénat de la Eagle Bank, dans un lieu que j’ai mis gracieusement à leur disposition afin qu’ils puissent nous présenter leurs œuvres en ayant la liberté de les mettre en valeur a leur convenance. Jeux de lumière, de mise en scène, de musique, voir même d’odeur, ils ont rivalisé d’ingéniosité et de créativité pour rendre encore plus parlant leurs toiles et leurs sculptures. Avoir une place pour cette avant-première était sportive de ce que j’ai cru lire sur les réseaux sociaux. L’évènement fait grand bruit dans tout NY, a tel point qu’un des vigiles a failli me faire attendre dehors car je n’avais pas d’invitation. Petit incident que j’ai pris avec amusement, le félicitant pour son zèle quand son supérieur est arrivé, en panique, pour me laisser entrer.

Il faut dire que je n’ai pas prévenu de ma présence, préférant rester dans les « anonymes » pour découvrir ce vernissage. Cela m’évite les attentions particulières et flagorneries ostentatoires qui auraient gâché ma visite. Même si ma tenue reste simple, un costume anthracite avec une chemise crème, tout est fait sur mesure par des couturiers français haut de gamme. De plus, je ne viens pas seul, a mon habitude, Phobos et Demos, mes bergers allemands, restent à mes côtés. Difficile de savoir qui je suis, pour les autres visiteurs ou employé. Il y a peu de photos de moi sur internet et seul mes proches savent que je suis toujours accompagné de mes fidèles compagnons.

Même si j’ai un visage impassible, je reste aussi fasciné devant une œuvre sombrement appelée « l’ode à la pluie ». Une recherche de dégradés de couleurs sur les variations de l’eau. Si la toile peut paraitre naïve et simplette au premier coup d’œil, il suffit de l’observer pour voir à quel point l’artiste a poussé loin la réflexion sur les jeux de textures, les reliefs subtils et les variations de pigmentation aussi fin qu’une pluie d’été avant de s’épaissir pour arriver aux teintes de fin d’orage. Il est évident que cette œuvre ira rejoindre ma collection privé sans même que je ne regarde son prix de vente. Pris dans ce moment de contemplation, je ne fais pas attention au fait que mes chiens sont allés s’assoir un peu plus loin ou qu’il y a un autre homme a coté de moi.

Toujours a ma contemplation, je ne prends pas garde à l’homme qui s’approche. La coutume tend à ce que, sur ce genre d’exposition, les gens aient du savoir vivre. Il n’y a rien de plus sacré que de respecter ce moment où l’on découvre une œuvre et que l’on s’en imprègne. Interrompre ce moment « de grâce » sonne comme un sacrilège. Si c’est arrivé, rarement, que je tombe sur une jolie potiche sans éducation, se pensant plus intéressantes que les tableaux exposés, mon personnel ne m’a jamais donné l’occasion de me faire vivre cela, du moins, jusqu’à aujourd’hui. Pourtant, c’est bien ce qui se passe. Un homme m’aborde en me posant une question qui me fait arquer un sourcil.

Mon flegme naturel fait que je ne montre pas mon agacement alors que je me tourne vers lui. Je cache, aussi, mon étonnement en découvrant que celui qui me fait, maintenant, face, porte le costume du personnel du musé, donc, indirectement, du miens. Je sais que j’avais demandé un vent de modernité et d’exotisme pour ce vernissage, mais de là à se retrouver avec un « basané » plus tatoué qu’un yakuza sans savoir vivre… c’est forcément une erreur de casting. Mon regard se pose sur son badge avant que je ne lui réponde :

« Bonsoir, monsieur Diego. Effectivement ce sont mes chiens. Est-ce un souci ? »

Phobos et Déimos semblent tendre l’oreille de concert, comme s’ils avaient compris qu’on parlait d’eux. Museaux dressés, posture d’attente, ils posent leur regard fauve sur celui qui me parlent, comme s’ils attendaient un geste de ma part pour accourir. Pour le moment, ils ne sont pas hérissés, ni ne grognent, mais tout pourrait rapidement basculer, pas seulement parce « Diego A. » ressemble a ceux qui ont servi a les entrainer. Mon sourcil déjà relevé s’arque un peu plus à sa demande qui frise le culot :

« Les faire sortir ? »

L’idée est d’autant plus saugrenue que je ne me sépare jamais de mes chiens qui valent plus que nombreux êtres humains à mes yeux. Mon air surpris laisse rapidement place à un demi sourire et c’est un peu amusé que je lui retourne la question :

« Vous êtes nouveaux ici non ? Ne pensez-vous pas que si on les a laissés entrer, c’est qu’ils peuvent y rester ? »

Je lui fais signe de disposer comme si l’affaire était entendue et qu’il peut retourner à ses occupations, si possible, loin de moi.

Difficile avec mon éducation de ne pas faire un lien assez facile entre la couleur de peau, l’accent prononcé de l’homme en face de moi et sa bêtise crasse. A-t-il seulement des papiers ? J’essaye de rester impassible en me promettant d’avoir une discussion avec l’assistant qui gère les responsables des embauches.  Je le vois hésiter avec un air presque grotesque qui me donne envie d’être magnanime, mein Bruder me reproche mon excès de gentillesse envers les êtres inférieur, peut être a-t-il raison.  Il semble bafouiller en plus. Cela devient gênant.

« Vous ? »

Peut-être souhaite t’il s’excuser ? Seule ce vernis impeccable de politesse et de patience me tient devant lui. Je fronce légèrement mes sourcils quand Phobos et Deimos se mettent a grogner de concert au moment ou la lumière s’éteint. Il est assez tard pour qu’il n’y ait pas trop de monde dans le bâtiment, mais assez pour que cette obscurité subie sème un vent de panique. Cris de stupeurs, bousculade, bruit de chute. Mon flegme fait que je reste stoïque, mes sens en alerte, mon gabarit, lui, fait que ceux qui me rentrent dedans sont plus déséquilibrés que moi. Quelqu’un s’agrippe a moi juste avant que la lumière ne revienne. Je n’ai pas le temps de m’amuser de voir le vigile maladroit en face d’un Phobos les babines au clair, que je ne cesse de chercher des yeux d’autres membres de la sécurité. Le lieu en est étrangement dépourvu.  Mon métier ne laisse pas de place au hasard et je n’ai pas le confort d’imaginer que ces minutes d’obscurité résultent d’une autre maladresse d’un clandestin limité. Mes chiens sont hérissés comme jamais, il plane dans l’air une odeur de menace qui me pousse à imaginer le pire. Vigoureusement, je redresse l’homme a mon bras pour le remettre sur ses jambes alors qu’il semble repartir sur un sujet que j’écoute à peine. Une voix l’interrompt et je lâche un grognement :

« Reprenez-vous, je pense que vous allez avoir une occasion de briller autre que pour contempler mes chiens… »

Un autre cri alors que l’on réalise que le protocole de sécurité a été mis en place. Portes, fenêtres, tous se condamne. Un mécanisme automatique dès qu’une pièce de la collection est bougée sans désactivé le système de protection.  Un des gardiens encore présents, étrangement, le seul de visible avec celui qui est avec moi, essaye d’intimer le calme et mettre de l’ordre. Il rassure la foule sur le fait que c’est normal et que la police ne va pas tarder a venir pour déverrouiller les issues.

Je prends mon téléphone par réflexe. Pas de réseaux. D’autres connaissent visiblement les mêmes déboires que moi. Mon adoration pour l’histoire m’oblige a voir des signaux d’alarme. De ce fait, je pousse l’homme avec moi sans lui donner d’autre choix que de me suivre.

« Venez. Nous avons a parler.»

L’ordre est sec, mes chiens nous emboitent le pas sans cesser de se retourner, comme si la menace venait du hall où se pressent les convives et employés devant les portes closes. Je veux aller vers les bureaux pour tenter de comprendre, ne montrant aucune inquiétude visible quant au tableau manquant.

« Ou sont vos collègues ? Avez-vous une ligne fonctionnelle pour contacter la pol… »

Un hurlement, des coups de feu, cette fois, du grand hall, font que je bondis, avec des réflexes d’épéistes, a couvert, tirant l’homme avec moi. Même si nous sommes dans une autre pièce, seuls avec les chiens, une voix forte se fait étendre de la ou sont tous les autres.  

« TOUS AU SOL !! MAINS EN ÉVIDENCE !! LE PREMIER QUI BOUGE SE PREND UNE BALLE !! »

Je regarde mon camarade d’infortune tout en écoutant la suite :

« Heilige scheiße!! Je ne le vois!!!
_ Cherches mieux! On sait que le Zoller est là! Il a été vu a l‘entrée »

Une autre détonation et mon regard se perd sur celui a mes côtés. Scrutant dans ses réactions si je dois me débarrasser de lui ou si c’est un allié. Le vol de tableau n’était qu’un prétexte pour nous couper du monde, qu’ils soient complices ou mort, j’ai le sentiment que le personnel censé assuré la sécurité est indisponible pour le moment et que la situation est en train de désagréablement m’échapper.  

J’affiche un certain calme en surface, pour autant, une personne qui me connaitrait bien ne manquerait pas l’absence de ce demi sourire quasi permanent sur mes traits ne manquerait pas le pli soucieux inhabituel de mes sourcils. Les chiens le ressentent eux et sont a la fois hérissés et collés a nous, comme dans l’attente de mes directives. Pour ma part j’essaye d’analyser rationnellement la situation. Des otages, des tireurs dont je peux supposer des origines allemandes.

Cela peut être pas mal de personnes, les ennemies de la famille Zoller ne manquent pas, comme celles qui pourraient être intéressé par la fortune que je représente. Quoiqu’il en soit, je devine être au centre de leur motivation et je n’ai pas envie de tenter le diable pour finir entre leur main. Mon camarade d’infortune appelle sans succès ses collègues, au fonds de moi, ca ne m’étonne pas, tout comme il ne semble pas reconnaitre les hommes qui jouent un peu trop des armes a mon gout. C’est assez simplement que j’évoque une évidence :

« Malheureusement, il y a de grandes chances que ceux qui n’étaient pas dans le plan aient été neutralisé, d’une façon ou d’une autre. Peut être que de rester pinailler avec mes chiens vous a sauvez la vie…»

Ou a juste retardé l’échéance. Je sens a sa voix que la situation le dépasse, en même temps, qui ne le serait pas dans c’est circonstance ? Malgré tout il arrive a garder un semblant de sang froid, assez pour tenter de continuer a réfléchir correctement ce qui fait que je pense commencer a l’apprécier, n’en déplaise a mein bruder.

« Je viens souvent ici et c’est vrai que c’est la première fois que je vous vois. La A derrière Diego, c’est pour quel nom ? A moins que vous ne souhaitez que je vous appelle Diego ? »

Cela peut paraitre incongru de s’inquiéter de ce genre de détail, mais si je dois me reposer sur cet homme, j’ai besoin d’au moins savoir comment l’appeler. Et puis, quitte a frôler la mort aujourd’hui, autant rester gentlemen jusqu’au bout et faire preuve d’éducation. Un début de petit sourire en coin nait quand il fait ses conclusions, j’ai toujours su apprécier les gens capables de garder un esprit vif même en cas de tension extrême ; A croire que j’ai mal juger cet employé qui m’avait semblé limité de prime abord.

« Ma foi, c’est possible que je le connaisse plutôt bien. Effectivement, il va falloir que l’on intervienne, mais pas sans un plan. J’ai l’intuition que si le tableau a été déplacer, c’est pour nous confiner ici. Il faut trouver le moyen de lever l’alarme et surtout de communiquer avec l’extérieur. »

Autrement dit, il va falloir aller dans le fameux « bureau » du fonds sauf que je ne suis pas certain de voir duquel Diego parle. Difficile de rester détacher en entendant quelques cris de peur et de douleur alors que les ravisseurs regroupent sans ménagement leur otages, n’hésitant pas a frapper les plus tétanisés ou les plus lents avec brutalité.

« Est-ce que vous savez vous battre ou utiliser une arme et surtout, est ce que je peux avoir confiance en vous pour que nous essayons de sauver tout le monde ? »