Rencontre à la galerie feat. Shoshana & Joachim

Quatre mois... Il avait goûté aux joies de la prison pendant quatre mois. Son avocate, bien qu'exceptionnelle, avait galéré pour le faire sortir et avait dû user de ruses et manipulations. Si Joachim avait eu du mal à accepter la privation de liberté, le coupant totalement de ses proches qui ignoraient sa présence en ce lieu en dehors de ceux faisant partie du cartel, il avait cependant pu être plus serein à certains égards. Cela faisait des années que le gamin se battait contre son propre père, son organisation, ses trafics, ses jeux de pouvoir. Il avait eu une arme entre les mains bien trop tôt, il avait connu la violence avant même qu'il ne comprenne ce que signifiait ce mot, et une part de lui était brisée irrémédiablement. Il avait vu des choses horribles, il en avait commis tout autant, et entre les murs de cette prison il était au moins libéré de ce fardeau là. Son père trouverait aisément à le remplacer pour les missions, des missions qu'il rechignait à faire. Cela se sentait. Si Joachim tentait de donner le change, de jouer sur la raison et les différentes options, moins radicales, au fil du temps, ses proches du cartel avaient bien compris que s'il pouvait éviter d'aller trop loin dans la violence, il le ferait. Il était doux, comme sa mère. Voilà ce que le padre lui reprochait, et pourtant, sa mère n'aurait jamais accepté d'avoir autant de sang sur les mains qu'il n'en avait. Il était, certes, plus tempéré que son frère ainé mais quand il n'y avait pas d'autre option, il faisait le boulot, quand même ça le révulsait. Il n'était pas fait pour ce monde, il essayait tant bien que mal de donner le change et de s'y faire sa place au risque de ne pas être respecté et de finir six pieds sous terre mais il n'aspirait qu'à une chose : Fuir tout ça, fuir cet héritage maudit que son père comptait un jour lui léguer.

Ayant toujours bien cette idée en tête, et un petit pécule que son père lui a mis sur un compte, Joachim avait fait certaines transactions. Il avait par ailleurs un compte dissimulé dans les iles Caïman qu'il approvisionnait au fur et à mesure en prévision de tout cela. Seulement, il restait une chose qui le poussait à toujours retarder le moment de sa fuite, et cette chose, c'était son fils. Le gamin venait tout juste d'avoir sept ans. Personne du cartel ne connaissait son existence et, parmi les proches de Joachim, seule Manuela et son meilleur ami étaient au courant. Pour le reste, c'étaient ses référents auprès de la police qui le savaient, Joachim ayant demandé à ce qu'ils veillent sur l'enfant afin qu'il ne tombe jamais entre les mains de son père, quoi qu'il en coute. Il était certain que Julian Alvarez serait ravi de découvrir qu'il avait un petit fils, et il était tout aussi certain qu'il ne lui ferait aucun mal, voyant là sa succession assurée. Seulement, le gamin n'aurait jamais la liberté de choisir ce que serait sa vie et il se retrouverait enfermé dans ce monde comme Joachim l'était.

C'était là, la limite à ses projets.

Pour autant, le jeune mexicain continuait de chercher des solutions pour préparer au mieux son avenir, espérant toujours une issue favorable. Ayant toujours agi avec son cœur, le fait de se rapprocher de celle qu'il avait aidé à s'infiltrer dans le cartel ne l'aidait en rien à garder une vision claire des choses. Elle l'aiderait sans doute à fuir, mais ensuite ? Cela signifiait-il faire une croix définitive sur son fils, et sur la jeune femme pour laquelle il commençait à avoir de profonds sentiments ? Certainement. Il aurait, une fois de plus, un choix déchirant à faire s'il voulait sa liberté et cesser de participer aux malheurs de ce monde. Il ne savait pas si cela arriverait un jour, mais il prévoyait cette possibilité. Son père était connu pour être doué en investissements. Il possédait de nombreuses entreprises, était associé dans d'autres, il arrivait toujours à trouver le bon filon qui lui permettait de blanchir son argent et le faire fructifier. Joachim, lui, avait placé une partie de son argent en bourse, misant sur des valeurs sûres. Il était trop réfléchi pour prendre de gros risques, mais cela contribuait à faire grossir ce compte qui pourrait lui servir un jour.

En cette journée, c'était cette idée qui avait guidé ses pas dans une galerie d'art de Manhattan. On lui avait soufflé qu'investir dans ce domaine pouvait rapporter gros si tant est que l'on tombe sur le bon artiste. Joachim ne s'y connaissait pas beaucoup dans ce domaine, lui même griffonnait de temps à autre mais on était loin de pouvoir parler d’œuvre. Il s'y était intéressé comme toute personne lambda appréciant l'art, restant bien novice dans ce domaine. Alors, ce serait un simple pari sur l'avenir, comme il le ferait en jouant à la loterie. En poussant la porte de ce lieu, la seule chose qu'il avait en tête c'était le but de cette opération, se demandant s'il arriverait à aboutir à quelque chose. Il traina entre les allées pendant quelques minutes, se désintéressant rapidement des noms les plus connus pour se focaliser sur des œuvres "moins prétentieuses", en tous cas, pour le moment. Il finit par en apercevoir une qui lui plaisait bien. Il l'observa quelques instants avant de s'approcher de celle qui pourrait le renseigner.

Bonjour, excusez-moi, j'ai vu ce tableau, je me demandais ce que vous pourriez me donner comme informations dessus, et sur son auteur.

Plus le temps passait, plus les emmerdes s'accumulaient dans la vie de Joachim. Et cela ne faisait que le pousser davantage à vouloir fuir son monde, cet univers qui l'étouffait. Le cartel, ce n'était pas pour lui. Il avait vécu vingt deux ans en pensant devenir un bras droit, un tacticien. Jamais il n'aurait imaginé un jour devoir succéder à son père et quand son frère fut tué, les choses commencèrent à changer. Il devint plus difficile pour Joachim de jouer ce double jeu entre le cartel et la police, et en même temps, c'était également plus facile de leur donner des informations sensibles... Seulement, il y a peu, sa couverture avait bien failli être bousillée par l'intervention du SWAT qui avait eu une information qui était censée rester confidentielle : l'un des emplacements de leurs labos. Il avait fallu qu'ils interviennent le jour où il s'y trouvait et se sortir de cette situation ne fut pas aisée. L'un des flics qui le suivaient avait fait parvenir une information à son avocate qui avait permis sa libération, en invalidant son procès. Tout ce merdier n'avait fait que lui donner encore plus envie de s'éloigner de tout ça, mais il devait tout bien préparer et ne rien faire dans la précipitation.

Les bons investissements pouvaient rapporter gros et Joachim ignorait ce que serait sa vie une fois qu'il aurait tout abandonné, alors, il avait fait en sorte de prévoir de quoi préparer sa fuite et se mettre à l'abri du besoin au moins pendant quelques temps. Investir dans l'art pouvait être une bonne option, et il ne l'avait que peu explorée jusqu'alors contrairement à son père qui était très porté là-dessus. Il s'était donc mis en tête de visiter cette galerie et, après quelques minutes, son attention fut attirée par un tableau. Les teintes utilisées étaient opposées à celles qu'il aimait en temps normal et cela le surprit d'autant plus. Il interrogea alors la jeune femme qui se trouvait là et le mexicain l'écouta, son sourire s'étirant au fur et à mesure qu'elle parlait.

Vous êtes une véritable passionnée on dirait.

Cela se sentait autant dans les mots employés que dans sa façon de les prononcer. Soit elle était une véritable commerciale, soit elle avait de vraies convictions concernant les œuvres qui se trouvaient dans sa galerie. La brune s'était tue un instant avant de reprendre sur le nom de l’œuvre, ajoutant que la signification était parlante

En effet... Répliqua t-il, un tantinet pensif. Elle enchaina alors sur d'autres possibilités, et il fallait bien le dire, Joachim n'était pas vraiment dans son élément, ce qu'il ne manqua pas de dévoiler.

Pourquoi pas. Je vous avoue que je suis très néophyte en ce domaine, mais celui-ci me plait bien. Et j'ai tendance à croire aux signes mais je reste ouvert à la découverte. Joachim avait de nombreuses croyances de par ses origines et le folklore qui entourait tout cela, mais ça allait un peu plus loin que ça. Il devait tenir ça de sa tante qui lui avait parlé des esprits de leurs ancêtres qui restaient toujours près d'eux pour les guides, et qui se manifestaient de différentes façons. Beaucoup de gens parleraient de l'instinct et que c'était cela qui poussait les gens vers une route en particulier, mais lui, il pensait qu'il y avait autre chose, quelque chose de plus grand.

Shoshana, ou Amber, se trouvait face à lui, écoutant attentivement ses paroles, son regard dévoilant une compréhension profonde de la quête de Joachim. Il se sentait presque vulnérable, partageant ses aspirations les plus intimes avec une étrangère qui semblait comprendre l'essence de sa recherche. Le changement. Le renouveau. La liberté. Il étouffait dans cette vie qui était celle que son père avait choisie et qu'il ne pouvait que poursuivre parce qu'il était son successeur, son héritier... Joachim n'était pas comme son frère, même s'il avait tout autant baigné là dedans. Il était plus sensible à la douleur humaine, et la vie d'un criminel était loin de lui convenir.

Mon intérêt pour l'art est double, en quelque sorte. D'une part, je cherche à investir dans des œuvres qui ont du potentiel à long terme, qui peuvent prendre de la valeur avec le temps. D'autre part, je souhaite créer un environnement chez moi qui reflète quelque chose de différent, quelque chose de plus... inspirant.

Les mots de Joachim emplissaient l'espace, créant une connexion entre son désir de liberté et les toiles qui s'étalaient devant lui. "Amber" écoutait, non seulement avec ses oreilles, mais avec son cœur d'artiste, percevant sans doute la dualité de ses motivations.

Je veux que chaque pièce raconte une histoire, une histoire qui parle de liberté, d'évasion, de renaissance. Vous avez mentionné que le tableau que j'ai remarqué s'appelle 'Beginning Again', et c'est précisément ce que je veux transmettre à travers mon espace. Une sorte de point de départ, de renouveau.

Les mots résonnaient dans l'air, emplissant la galerie d'une atmosphère empreinte de significations profondes. Les yeux de Joachim fixaient ceux de la jeune femme, cherchant à transmettre la sincérité de ses intentions. Il sentait que cette rencontre n'était pas seulement une transaction commerciale, mais une possibilité de créer quelque chose de plus grand, quelque chose qui transcenderait les simples contours d'une toile ou d'une sculpture. Peut-être qu'un véritable partenariat pourrait se créer entre eux, qu'elle pourrait lui trouver ces joyaux qui lui permettraient de faire les bons investissements, et de ne pas oublier son objectif en même temps...

En ce qui concerne le budget, je suis prêt à investir de manière significative, tant que cela vaut le coup. Je ne cherche pas juste à acheter des œuvres, mais à investir dans des histoires, des émotions, quelque chose qui résonne profondément.

En s'écoutant parler, il eut un petit sourire amusé. On lui disait souvent qu'il avait tout d'un gamin, qu'il était irresponsable, notamment parce qu'il avait deux vies bien distinctes et que les combiner était complexes. Alors, c'était sans doute ce qu'il reflétait pour la plupart des gens, mais il était beaucoup plus mature qu'on ne se l'imaginait malgré son jeune age.