N'est pas detective qui veut

Il y a des patients dont on se sent plus proche que d’autres. Ça ne s’explique pas, parfois, c’est juste parce que l’on se sent bien avec eux ou que leur histoire nous touche. D’autre fois, il n’y a aucune logique pour expliquer cela. Juliette est un peu de tout cela a la fois. Arrivée pour un cancer, elle a passé plusieurs mois dans mon service et j’ai eu plaisir à découvrir une jeune femme forte et pleine d’espoirs. Ses parents sont morts quand elle était jeune, elle a épousé le mauvais type qui lui a fait du mal pendant des années avant qu’elle n’arrive a se sortir de ce mariage pour prendre un nouveau départ a NY. Même le cancer n’a pas fait le poids face à cette force de caractère qui a déjoué tous les pronostics des oncologues.  

On a continué à s’envoyer des messages et je me suis arrangée a être toujours là pour le suivi de sa rémission. Sauf que, non seulement elle a loupé son dernier rdv, mais en plus, elle ne répond plus à mes messages. J'avoue que c’est possible que j’ai été cherché son adresse dans son dossier et que je sois passée sonner a sa porte, sauf que ca ne serait pas tres professionnel de ma part si j'avais vraiment fait ca. De toute façon; non seulement il n’y avait personne, mais en plus, sa boite aux lettres était pleine.

Morte d’angoisse pour elle, j’avais relu fébrilement tout ses derniers sms la veille. Le fait qu’elle ait trouvé une asso d’aide aux femmes victimes de violence. Qu’elle craquait complètement sur un des hommes du centre...  Je sais que je ne devrais pas, que j’ai suffisamment d’ennuis dans ma vie, sauf que, plus j’y pense, plus je réalise qu’elle n’a peut-être que moi pour s’inquiéter pour elle. Incapable de me résigner, a la fin de mon service, je me décide, sur un de ces coups de tête qui ne me réussissent pas souvent, a chercher la fameuse association. C'est en chemisier sagement boutonné presque jusqu'en haut, jean impeccablement repassé de la veille et cheveux tirés en queue de cheval que je quitte l’hôpital vers 17h30

Je n’ai pas plus de mal a trouver l’adresse que d’y aller. Le lieu est simple, rassurant et bien équipé. Juliette ne me mentait pas quand elle me le décrivait comme un sanctuaire apaisant. J’explique a la personne de l’accueil que je cherche une amie qui a disparu et fréquentait ce lieu. Elle me répond poliment que le respect de l’anonymat des femmes qui viennent est primordiale. Sauf que je ne peux pas m’arrêter a cette réponse.

« Écoutez, ce n’est surement rien, sa famille m’envoie voir si des gens aux centres peuvent nous rassurer. Ils sont tellement inquiets qu’ils veulent contacter la police, ils craignent que son ex soit dans les parages… ca serait gênant que les forces de l'ordre viennent pour elle s'il n'y a rien d’alarmant. »

Juliette n’a aucune famille et son ex est en prison pour encore pas mal d’année, légers détails quand on est habituée a mentir comme on respire. La femme hésite avant de me dire qu’elle va chercher un responsable. J’en profite pour appeler rapidement maman pour lui dire pourquoi je vais être en retard. Dans ma précipitation, je ne fais pas attention que je viens de lancer le dernier numéro appelé, qui n’était pas celui de ma mère. Je lâche le combiné sans raccrocher quand la femme revient me prévenir, avant de reprendre son poste :

« Monsieur Cardinale va vous recevoir, son bureau est la 3e porte au fond du couloir. »

Je la remercie avec un grand sourire avant de m’éloigner et d’aviser que je suis déjà sur le répondeur. Surement que sans cette diversion, je me serais rendu compte que je n’avais pas le message un peu gamin de maman qui, du haut de ses 50 ans, se comporte parfois comme une enfant mais celui de Liam. C’est donc en avançant et en chuchotant que je laisse mon message :

« Ne hurle pas. Je sais ce que tu m’as dit, mais je sens qu’il est arrivé quelque chose de grave a Juliette. Il y a forcément quelqu’un qui sait quelque chose dans son association. Promis, je ne prends aucun risque, je ne bois rien, au moindre souci je gère sans appeler la police et j’ai ma bombe au poivre. Ca va aller, j’en suis sure. Je passe récupérer Thea chez toi avant le diner. Merci encore. »

Je raccroche et frappe a la porte d’un bureau qui respire, lui aussi, la simplicité. Rien de ce que j’ai vu dans cet endroit me semble hostile, bien au contraire et l’homme devant moi n’a pas la tête d’un monstre. De toute façon, pour être a le fondateur d’une telle association d’aide a des femmes en difficulté, il faut forcément être une personne bienveillante et altruiste comme il en faudrait plus dans cette ville. Je reste quand même surprise par son âge, je l‘aurais imaginé plus vieux.  C’est avec autant de douceur que de politesse que je me présente :

« M Cardinale ? Bonjour, merci de prendre le temps de me recevoir. Je m’appelle Emma Lockwoods et j’ai vraiment besoin de vous. »

Je prends a nouveau mon téléphone et met une photo de Juliette dessus que je lui tends. Je suis trop nerveuse pour ne pas aller droit au but, qui plus est, j’imagine que ce monsieur a surement peu de temps a me consacrer.

« Cette femme s’appelle Juliette Mckenzie. Elle venait régulièrement ici. Elle a disparue depuis 3 jours et la dernière chose qu’elle a faite avant de cesser de donner de ses nouvelles était de passer a une réunion. D’ailleurs, je crois qu’elle fréquentait un homme du centre. Je… enfin, c’est important de le préciser mais je ne suis pas là pour violer le besoin d’anonymat des femmes que vous aidez.  Je veux juste savoir ce qui lui est arrivée et parler à ses amies, voir son ami. »

Je reste a le regarder d’un air suppliant avec l’espoir naïf qu’il puisse m’apporter des réponses pour aller vers un happy end, mais, au fond de moi, je sens qu’elle a besoin d’aide et que je ne vais pas apprendre qu’elle est juste partie se marier a Vegas sur un coup de tête.

Le sourire chaleureux de l’homme me rassure un peu et je me trouve terriblement idiote d’avoir eu une appréhension de venir ici. A force d’écouter Maman qui voit des monstres partout, j’oublie qu’il reste encore beaucoup de personnes altruistes dans NY.  Si j’avais peur qu’il m’envoie gentiment voire ailleurs, c’est avec la plus grande gentillesse qu’il accepte de m’écouter. Une nouvelle preuve que le monde n’est pas aussi noir que maman essaye de me le faire croire.

Je m’assois en face de lui en tendant mon téléphone avec la photo de Juliette, souriante, à la cafétéria de l’hôpital. Mon visage se ferme un peu quand il me dit exactement ce que ma mère n’arrête pas de me répéter. Sauf que cette version, il y a bien longtemps que je l’ai rejetée. Même si cela tient plus a l’instinct qu’au factuel, je ne bégaye pas pour lui répondre.

« Elle ne l’aurait jamais fait sans m’en parler, en plus… elle a laissé toutes ses affaires chez elle dont ses animaux. »

C’est en le regardant droit dans les yeux que j’arrange la vérité avec un art consommé du mensonge. A force d’avoir dû cacher « nos petits secrets » c’est devenu un réflexe instinctif et je suis capable de le faire avec un aplomb qui devrait me faire honte. Je n’ai pas pu entrer chez elle, j’ai juste vue sa boite aux lettres, quant à ses animaux, a part des peluches… seul son ficus pourra se plaindre de son absence.
J’ai dans le regard cette lueur de ténacité d’une personne qui ne va pas s’arrêter à quelques paroles rassurantes et un peu d’espoir. Il m’en faudra beaucoup plus pour m’arrêter de chercher et le centre est ma seule piste pour le moment. Avec une petite voix douce que je lui demande :

« Dites moi, vous avez beaucoup de personnels masculins dans ce centre ? Y a-t-il un d’entre eux qui serait manquant depuis quelques jours ? »

Retrouvé le fameux « ami » pourrait être ma meilleure chance pour comprendre ce qui s’est passé. Je secoue la tête négativement quand il me demande si Juliette est du genre a faire « une fugue amoureuse ». Non, clairement pas après le traumatisme qu’elle a vécu. C’est déjà merveilleux qu’elle ait pu tomber amoureuse tellement la vie l’avait abimée vis-à-vis des hommes. Les questions de M cardinal sont pleines de bons sens, sauf que j’ai eu le temps de vraiment tout retourner dans ma tête au point d’être certaine qu’il y a un problème. Malgré les fortes émotions et mon épuisement, je continue de parler avec un ton calme et posé, essayant de ne pas paraitre confuse dans les informations que je partage avec lui.

« Je n’ai pas encore été voir les autorités, mais vous avez raison, je crois qu’il va falloir le faire. On est très proche toutes les deux, du genre a s’écrire beaucoup, tout le temps, sur tout. Son tout dernier sms était pour me dire qu’elle venait ici plus pour voir son « ami ». »

Je lui montre le message qui fait que si je vais voir la police avec, c’est évident qu’ils passeront surement aussi lui poser des questions. Envoyé en fin de journée avec trop de smileys à cœur pour penser a une simple réunion. Certes, cela allait, aussi étayer l’idée de la fugue amoureuse mais je restais vraiment hermétique a cette idée. En voulant ranger mon téléphone je me rends compte que Liam m’a envoyé un SMS et m’excuse une seconde pour lui répondre rapidement en prétextant que c’est pour le travail avant de lui assurer :

« Son ex conjoint est toujours sous les barreaux dans un autre état. »  

J’arrive à lui adresser un maigre sourire un peu plus franc même si le cœur n’y est pas. Au moins, il essaye vraiment de m’aider et ça me touche d’une certaine façon de ne pas me retrouver devant porte close.

« Ca serait avec plaisir M Cardinal. Toutes les pistes que vous pouvez me donner sont les bienvenues. Même si c’est juste des adresses de bars ou elle a pu aller, des gens avec qui elle est partie il y a 3 jours. J’ai vraiment désespérément besoin d’aide et je sens qu’elle aussi. »

C’est avec un air qui confirme toute l’inquiétude que j’ai pour mon amie, et la volonté de ne pas l'abandonner, que j’ajoute:

« Je suis vraiment prête a tout pour la retrouver, je suis certaine qu’il lui est arrivée quelques choses de grave. »

M Cardinale se montre vraiment prévenant et à l'écoute. Impossible de ne pas le trouver agréable et bienveillant. Si je suis une bonne menteuse, je ne suis pas plus douée qu’une autre pour discerner les menteurs de son niveau. Je suis incapable de me rendre compte que dans ce jeu de dupe, je suis devant un maître en la matière et que son masque, a lui, cache bien plus de secrets que le miens. Avec un acquiescement poli de tête et cet aplomb naturel qui fait que c’est très difficile de me confondre, je lui réponds sans hésiter:

“ C’est gentil a vous de vous en inquiéter. Je m’occupe de tout en attendant qu’on la retrouve.”

Évidemment que je n’ai pas ses clés mais je ne compte pas m'arrêter à une porte close. Peut être qu’une partie des réponses que je cherche se trouve chez elle. Je reprends espoirs et c’est avec une certaine fébrilité que je partage cette petite bouffée de lumière avec celui que je prends pour un allié concerné :

“Maintenant que j’y pense, elle avait la manie de tout prendre en photo. Même si son téléphone a disparu avec elle, elle avait des clichés partout chez elle, frigo, cadre et j’en passe. C’est évident qu’elle en a forcément de son conjoint… ca pourrait être une piste!”

Même si elle avait cette manie artistique de mal cadrer, de faire du flou, de prendre les gens en mouvements, si j’ai déjà une idée de la couleur des cheveux ou des détails pour orienter mes recherches, ça sera un bon début. Mon téléphone vibre et j’ai un petit sourire tendre en voyant le message de Liam. Je pianotte vite une réponse en m’excusant de mon impolitesse avec un peu d'humour:

“Mes collègues se demandent où je suis partie. Avec ces disparitions, je préfère les rassurer avant qu’on ne pense que les femmes ne se volatilisent dans votre bureau et nous envoient au moins le SWAT.”

Petite boutade que je pense légère sans savoir à quel point j’effleure la vérité. Je range mon téléphone et reste à le fixer avec attention quand il m’indique qu’il n’y a que 4 hommes ici. De ma fenêtre, c’est une bonne nouvelle. Juliette ne se serait jamais amusée à me baratiner, l’un de ses quatres est forcément l’homme dont elle m’a parlé et sait obligatoirement quelque chose. Avec toujours cette douceur qui est mienne, je me permets de lui exposer ma vision de la situation:

“Si je comprends bien, ça ne fait que 4 possibilités du coup, enfin, 3 après vous. Vous pensez que vous pourriez me donner les noms de votre co-fondateur et des 2 autres hommes? “S’ils ont franchi la limite”, comme vous le dites, sûrement seront-ils plus enclins à me parler de Juliette qu'à vous. ”

Je suis ma logique avec cet entêtement qui fait que je ne compte pas renoncer. Même si je dois creuser jusqu’en chine pour la retrouver, je le ferai. Je n’ai pas vraiment l’habitude qu’on me porte une grande attention ou que l’on se souci de moi, aussi, je suis un peu déstabilisée par sa proposition alors qu’il ne me connaît pas.

“C’est… c’est vraiment gentil de votre part M Cardinale. Mais je ne veux pas vous faire perdre plus de temps. J’irais moi même faire le nécessaire.”

J’hoche la tête avec enthousiasme quand il me dit pouvoir trouver ses heures de présence et avec qui elle était en contact, je n’en espérais pas tant, imaginant qu’il réserverait ses informations à la police. Une nouvelle preuve de son envie d’aider à la retrouver et que c’est un homme bien.

“Vous pensez que c’est possible maintenant ou vous préférez que je vous laisse mes coordonnées pour revenir plus tard les chercher?”

Toutes à mes pensées, je n’ai pas fait attention que le fondateur du centre c’est rapprocher et je me raidis, malgré moi, en sentant ses mains sur mes épaules. Je ne suis pas habituée à ce que l’on me touche, surtout un homme. En fait, à part Liam, qui est très tactile dans sa façon de me dire bonjour… bref, peu importe, j’ai peut être une vie de nonne pour de bon. Toujours est- il que je ne connais pas M Cardinal et le frisson qui me traverse sous ses doigts, n’a rien à voir avec celui que j’ai quand c’est le père de ma fille qui me donne une accolade. Je prends sur moi pour essayer de faire comme si tout allait bien, et cacher que je suis, sûrement, une prude mal à l'aise dès qu’on la touche. Je devine bien que le geste de cet homme se veut rassurant, surtout en l'écoutant me donner un texte que je ne veux pas entendre. Je penche ma tête vers lui et, c’est avec un mélange de désespoir et de volonté que je lui réponds.

“Vous ne la connaissez pas comme je la connais, c’est évident qu’il lui est arrivé un drame. Je vous remercie vraiment pour votre aide et si je peux vous rendre l'ascenseur, même si ce n’est qu’en vous apportant des heures de bénévolat. Je le ferais avec grand plaisir.”

J’ai un petit sourire tendre en voyant l’ultime réponse de Liam. Il va venir m’aider à ouvrir la porte de l’appartement de Juliette. Je sais que ma raison me hurle que c’est la pire idée du monde, que Thea pourrait se retrouver avec deux parents en prison, sauf que la, je suis trop dans l’idée que je vais voir Liam, qu’il vole, encore une fois, a mon secours sans que je lui demande et qu’il est juste formidable, adorable…. Bref, je suis loin d’arriver à me concentrer assez pour penser aux conséquences, je suis plus a me dire que s’il est là, ça va bien se passer. Je range pour de bon mon GSM sans avoir vue la réaction de mon interlocuteur au mot conjoint.

Même si je me demande pourquoi l’amoureux de Juliette ne se manifeste pas, j’ai encore l’espoir d’une réponse moins horrible que la perspective que ce soit lui qui lui ait fait du mal ou qu’il soit mort quelque part. Les potentielles photos sont notre meilleure chance de savoir qui est cette personne ou avoir une piste concrète. Je reporte toute mon attention sur M Cardinale. Sans m’en rendre compte, mes prunelles s’allument de cette détermination qui fait que je ne lâche jamais rien et je relève un peu mon menton, comme pour défier quiconque d’essayer de m’arrêter. Ce qu’il dit sonne le vécu mais je refuse que Juliette puisse être condamnée a attendre des lustres si elle est en danger. C’est toujours avec cette douceur qui me caractérise que je reprends la parole.

« S’il y a des signes qui permettent d’écarter la thèse d’une « fugue » ils ne pourront pas nous dire de seulement attendre. J’ai un ami qui va pouvoir m’adresser à la bonne personne a priori pour éviter que cela ne traine. Si vous l’acceptez je pourrais lui proposer de prendre aussi contact avec vous. Ca arrive souvent que des femmes disparaissent dans celles qui fréquente votre association ? »

La question est posée en toute innocence, mais la façon resignée qu’il a eu de me parler des forces de l’ordre qui trainent m’oblige a lui demander. Y’en a-t-il eu d’autres ? Je notre consciencieusement les indications qu’il me donne sur les 3 autres personnes concernés me promettant, aussi, de passer les voir.

« Merci. J’essayerais de leur parler. Mais, si vous me dites que personne ne manque a l’appel… »

Je laisse ma phrase en suspens, toujours pas prête a penser que Juliette ait pu avec des soucis a cause de son compagnon dont elle était si éprise. Je lui souris et prends un papier et un crayon pour noter mon numéro de téléphone en toute confiance. Généralement, je ne donne jamais mon numéro, mais M Cardinal a l’air de vraiment vouloir m’aider et s’inquiéter.

Malgré moi, je me raidis quand il me touche et je me force a ne pas bouger tout en donnant le change. Même si le geste ce veut de soutient, je suis mal a l’aise avec les contacts de personnes que je ne connais pas. Je me lève pour prendre congé, consciente que Liam risque de m’attendre devant chez Juliette si je traine trop.

« Encore merci pour votre aide. Je vous tiendrais au courant si je trouve quelques choses chez Juliette. N’hésitez pas à m’appeler si vous avez du nouveaux ou juste besoin de mes services. »

Une bonne opportunité pour fouiner au passage. Sur ces bons mots, je ne traine pas pour aller vers le métro avec l’espoir fou que tout se résolve rapidement.