Mother daughter combo (Alexis)

Lexie savait qu'elle n'était pas facile à cerner, qu'elle avait un abord assez froid et hautain. Mais la jeune femme avait été élevée ainsi, dans une famille de la haute bourgeoise, le genre de famille où on se ferme au monde tout en faisant semblant de s'y intégrer. Il fallait avoir des contacts, se faire bien voir, c'était une des clés de la réussite et du pouvoir. Edward McKinney avait longtemps espéré que sa fille finisse par reprendre ses affaires, mais elle bordurait à présent la quarantaine et la brune restait campée sur ses positions. Son père, il ne lui avait que trop dicté sa vie, imposé sa vision, mais à présent, elle n'était plus une gamine impressionnable. Alors, il avait fini par abandonner, jetant son dévolu sur un des amis d'enfance de sa fille : Nate Wellington. Le jeune homme était parfait, il présentait bien, il était éloquent, courtois, il avait tout d'un gentilhomme des temps modernes. Alors, il avait décidé que si sa fille ne reprenait pas les rênes, ce serait son futur gendre qui le ferait. McKinney était alors loin de s'imaginer que son poulain aimait les hommes et que sa fille refuserait ce mariage. Quand bien même sa vie sentimentale serait différente, elle ne s'était jamais imaginée mariée avec son ami, ils étaient proches, ils s'adoraient, se disaient tout -ou presque- mais jamais il n'y avait eu plus que ça.

La vie amoureuse de Lexie était...Chaotique. Elle était, pendant des années, restée accrochée à son ami Matt. Bien évidemment, l'aveuglement du portoricain était tel qu'il n'avait jamais remarqué que leur "amitié améliorée" était bien plus que cela pour elle. Sans le savoir, il lui avait brisé le cœur le jour où il lui avait présenté celle qui était, selon ses dires, la femme de sa vie. Ce jour-là, son éducation l'avait aidée à rester digne et paraitre presque impassible en les voyant ensemble alors qu'en réalité, cette vision lui déchirait le coeur. Matt, c'était son ami depuis bien longtemps, ils s'étaient connus à l'adolescence, avaient fait les quatre cent coups ensemble, et puis un jour, ils avaient commencé à pousser plus loin leur relation. Les choses avaient dérapé, quand Alexis a appris qu'elle était enceinte, elle a paniqué. Sa mère s'était montrée compréhensive mais son père...Quand il l'avait su, il avait pris les décisions qui s'imposaient. A l'époque trop jeune et n'ayant pas la force de caractère qu'elle avait à présent, elle s'était soumise lorsqu'il lui avait dit qu'elle partirait pour la France et y resterait jusqu'à l'accouchement. A chaque fois que la question de "que fera t-on après ? Je ne vais pas rester en France toute ma vie ! " venait sur le tapis, McKinney éludait. Il savait ce qu'il ferait mais il n'en soufflait mot à quiconque.

Alexis s'était donc retrouvée seule à Paris, peu avant sa majorité, n'ayant de contact avec ses amis que par téléphone ou Skype de temps en temps. Elle leur racontait une jolie histoire. Après tout, elle rêvait d'être styliste et Paris était une vraie mine d'or en ce domaine. Ce fut le seul point positif à cet exil, la brune n'étant pas restée là à simplement attendre. Elle avait fait les démarches pour poursuivre des études de mode et au final, ce qui ne devait durer que quelques mois dura trois années. Trois ans durant lesquels elle avait voyagé entre Paris et l'Italie, renommée également dans le domaine. Trois ans à faire les études qu'elle aimait. Mais également trois ans à essayer de savoir ce qu'était devenue sa fille...En parallèle de ses études, la brune avait fait des recherches, elle était retournée à la maternité, elle avait supplié les médecins, infirmières et sage-femme de lui donner, ne serait-ce, qu'une petite information sur ce qu'était devenu cet enfant qu'elle avait à peine eu le temps de regarder. Mais rien. Tout était vain. Elle avait fini par reprendre la route de New-York, sa relation avec son père, déjà tendue, était devenue glaciale et quasi inexistante. Lui, il pensait véritablement avoir fait pour le mieux, pour sa fille. Mais Lexie n'était pas du même avis... Cette blessure, elle l'avait gardée en elle et le secret n'avait été dévoilé qu'à deux personnes "extérieures", son compagnon Enzo et son amie Elizabeth, qui avait un lourd passif également avec un mari violent et la perte d'un enfant suite à cela. Si leurs cas étaient différents, leurs souffrances avaient trouvé un écho dans celle de l'autre.

Et la brune n'était pas au bout de ses peines. Entre sa relation bancale avec Enzo, la frayeur qu'elle avait eue en se pensant enceinte à nouveau, les manigances des Forzalli, elle en avait bavé ces derniers temps. Alors, ses sorties avec Matt, Nate ou Kevin, c'était apaisant. Ses trois amis étaient toujours là pour elle, l'un pour lui faire prendre une taille de pantalon avec ses gâteaux, le second pour se pelotonner devant une comédie romantique en se moquant l'un et l'autre de leur côté fleur bleue, et le dernier pour lui taper sur les nerfs autant que pour l'amuser avec ses bêtises. C'était une chance de les avoir ces trois là, même si elle les traitait très souvent de crétins. Et quand elle ne les voyait pas, elle se concentrait sur son entreprise, son nouveau "bébé". Cela faisait quelques mois qu'elle s'était lancée, créant son atelier de stylisme. Enzo l'avait aidée avec le site web, Kevin avait démissionné de leur ancienne entreprise pour venir la rejoindre, et elle avait recruté quelques personnes, prenant également plusieurs stagiaires qui pourraient l'aider à moindre coût dans ses débuts. Les mômes avaient besoin d'expérience, elle, elle avait besoin de décoller avant de penser à avoir une belle et grande équipe. L'avantage qu'elle avait, c'était son nom. Pour les amateurs de mode, elle était déjà connue, et via son père et leur empire en aéronautique, le nom de McKinney dépassait les frontières. C'était un coup de pouce non négligeable mais la brune restait prudente, après tout, la gestion d'entreprise n'était pas son fort. Si son père avait tenté de l'initier, elle n'avait jamais aimé ça et s'était montrée fort peu assidue. Elle laissait donc cet aspect du business à d'autres personnes. Elle, c'était une créatrice, pas une comptable ni une gestionnaire. Et parmi ses stagiaires, ce dont elle était loin de se douter, c'était qu'il y avait sa fille biologique, cette enfant qu'on lui avait arraché si soudainement à sa naissance. Après tout, comment pouvait-elle imaginer une telle chose possible ? La jeune fille avait fait part de son envie de découvrir cet univers, semblant avoir déjà un don pour le dessin. Si Lexie était toujours sur la retenue les premiers jours, elle se détendait ensuite peu à peu, quand elle voyait que les choses fonctionnaient bien. C'était une angoissée et une perfectionniste, alors sans doute que ce côté un peu autoritaire devait l'aider à voir ce que valaient ses recrues. Ne se préoccupant pas des formalités administratives, Alexis n'avait pas vu les papiers d'identité de la demoiselle, ne lui permettant pas de s'interroger et quand bien même ce serait le cas, il était possible que sa date de naissance ait été modifiée afin de brouiller les pistes. La jeune fille était arrivée dans l'atelier avec un gobelet dans les mains, le lui proposant. La brune fut quelque peu surprise alors qu'elle relevait le nez de son dessin mais rapidement, un sourire se dessina sur ses lèvres. Un sourire qui s'effaça lorsque le gobelet fut renversé sur son œuvre. La dernière fois que quelqu'un avait renversé son café, une robe en soie très rare avait été détruite et elle s'était disputée avec l'opportun qui lui avait foncé dedans. Elle n'aurait jamais imaginé à ce moment là qu'elle finirait par se laisser charmer par ce type arrogant et particulièrement imbuvable ! La brune avait fait un bond de sa chaise, s'éloignant du liquide qui commençait à s'étaler sur son bureau afin de ne pas réitérer l'expérience. Alexis fit une moue dépitée en voyant son travail se noyer dans le café tandis que la jeune fille s'excusait, bredouillant. Elle attrapa une boite de mouchoirs qui se trouvait non loin et en pris un, commençant à tamponner afin d'absorber le liquide noir.

Ce n'est pas bien grave, je le referai.

Il valait mieux ce dessin que sa tenue ! La brune finit par relever la tête après avoir épongé le plus gros afin de reposer son regard sur la jeune fille.

Ce n'était de toutes façons pas ma meilleure création, ajouta t-elle avec un léger sourire.

Matilda, c'est bien ça ? Demanda t-elle afin d'obtenir confirmation. Il était vrai qu'Alexis se préoccupait peu des stagiaires qui défilaient dans son atelier, ceux-ci ne restant en général jamais très longtemps.

Dis-moi, pour quelle raison as-tu demandé ce stage ? Quel est ton objectif final ? L'interrogea t-elle tout en s'éloignant du bureau, l'invitant à la suivre afin d'aller se chercher un autre café. Alexis était loin de s'imaginer les véritables raisons qui l'avaient menée là. Certains venaient par curiosité, d'autres parce qu'ils avaient un réel amour pour la mode et la création, mais elle, c'était tout autre chose, alors, qu'allait-elle lui dire ?


 

Toutes les réponses aux questions de la jeune fille, Alexis les avait, mais même si elle savait qui était cette demoiselle, même si elle l'interrogeait directement, aurait-elle la force de tout lui expliquer ? Parviendrait-elle à lui dire que sa vie avait été grandement contrôlée par son père ? Qu'elle avait mis beaucoup de temps et avait eu beaucoup de difficultés à s'affranchir de son autorité ? Edward McKinney n'était pas un homme commode, il avait un fort caractère et était quelque peu adepte du contrôle. Tout devait être parfait, tout devait aller dans une direction bien linéaire et il ne fallait pas s'écarter du chemin. Il avait déjà imaginé la vie de sa fille, dans les moindres détails. Elle reprendrait son entreprise, étant son unique héritière, et elle épouserait Nathanael Wellington, le meilleur parti qu'il connaisse, un jeune homme prometteur... Au lieu de ça, sa fille s'était amourachée d'un gamin du Bronx, un petit crétin arrogant et bagarreur qui ne savait pas faire tenir un jean correctement sur ses fesses, un orphelin qui n'avait pas été bien longtemps à l'école et qui n'avait pas un brillant avenir. Il n'avait ni nom, ni argent, ni ambition autre que celle de gagner assez d'argent pour pouvoir soigner sa grand-mère malade, et pour ça, il était tombé dans des histoires de gang. Cette dernière partie, évidemment, McKinney l'ignorait. Alexis elle même n'avait jamais eu l'information même si elle s'était posé des questions, et au vu de ce qu'il se passait dans sa vie à présent, les doutes commençaient à devenir des certitudes.

Toujours était-il que, si la jeune femme s'entendait parfaitement avec le poulain de son père, elle n'avait jamais vu Nathanael autrement que comme un ami, un confident. Matt...C'était autre chose. Avec lui, elle sortait de sa zone de confort, elle quittait cet ennui de petite vie rangée et aristocratique dans laquelle elle avait grandi. Elle se sentait vivante, et après presque vingt années d'amitié, rien n'avait changé. Elle l'avait aimé, Matt, plus qu'elle n'aurait su le dire, mais elle ne l'avait jamais véritablement avoué. Lorsqu'elle avait tenté de le faire, il lui avait répondu avec son grand sourire bêta que lui aussi, sauf que pour lui, c'était un amour amical, fraternel, tandis qu'elle...Elle était totalement accro à lui. Il lui avait fallu beaucoup de temps pour s'en défaire, finissant par succomber au charme d'Enzo Forzalli qui était...Son total opposé, et un parti qui plairait bien plus à son père pour le coup.

Alexis avait donc fini par tomber enceinte alors qu'elle était encore mineure. Cela avait créé une véritable crise au sein du foyer McKinney et son paternel avait absolument tout pris en main. Hors de question que son nom soit éclaboussé, que la honte s'abatte sur sa famille. Il avait un empire à gérer, il était un homme puissant et respecté, et cela devait perdurer. Edward était un homme dur, il avait de grandes difficultés à laisser paraitre ses émotions et à s'adoucir, quand bien même tout ce qu'il faisait était, selon lui, pour le bien de sa famille. Regrettait-il ce qu'il avait fait ? En tant que père, sans doute. En tant que dirigeant d'une multinationale, c'était la chose à faire. Avec les années, on aurait pu croire qu'ils avaient oublié tout cela. La relation entre Alexis et son père s'était un peu améliorée même s'ils restaient distants, et elle, elle faisait sa vie... En apparence du moins car les traumatismes étaient toujours là, ils étaient juste bien enfouis, en attestait la crise qui avait eu lieu quelques temps auparavant avec Enzo lorsqu'elle s'était crue à nouveau enceinte. Elle avait paniqué, totalement. Elle avait beau savoir que les choses ne se reproduiraient pas de la même façon, qu'à présent elle était majeure et indépendante, elle avait pris peur et le couple avait battu de l'aile. Cette fausse alerte lui avait fait réaliser que, malgré les années, ce secret continuait de peser sur elle, et pour la première fois, elle en avait parlé. Comment réagirait-elle à présent si elle savait qu'une de ses stagiaires n'était autre que cette enfant qu'on lui avait arraché des bras seize ans plus tôt ?

La gosse avait renversé son café, fort heureusement, contrairement à un italien de sa connaissance, cette maladresse n'avait pas détruit une robe en soie qui n'existait qu'en douze exemplaires, mais juste un croquis qui, de toutes façons, ne la satisfaisait pas totalement. Après avoir tenté d'épongé le plus gros, Alexis proposa à la jeune fille qu'elles aillent chercher d'autres boissons, l'interrogeant sur ce qui l'avait amenée en ces lieux. Un sourire étira ses lèvres lorsqu'elle lui annonça qu'elle aimait beaucoup ce qu'elle faisait, l'interrogeant sur le fait qu'elle ait toujours voulu faire cela ou non.

Ça m'est venu assez rapidement, quand j'étais enfant, mon père me disait sans cesse que j'étais une princesse et je m'imaginais donc avec une robe comme on en voit dans les contes. J'en ai eu d'ailleurs, finit-elle par ajouter avec un petit rire.
J'ai commencé à en dessiner, c'étaient de véritables gribouillis à l'époque, et puis ma nourrice m'a appris à coudre. J'ai fait une véritable garde-robe pour mes poupées. C'est à l'adolescence que j'ai vraiment commencé à en créer pour moi, et quand mes amies m'ont demandé d'où ça venait et voulaient les mêmes, c'est là que j'ai eu le déclic.

Elles arrivèrent en salle de pause et Alexis se tut un instant, lançant la machine à café qui faisait un boucan infernal avant de reprendre.

Mes parents ont cru que c'était un passe-temps, mon père avait déjà décidé que je ferais des études dans la gestion d'entreprise et les finances. N'ayant pas eu de fils, il pensait que je reprendrai "sa création". Et j'avais commencé en ce sens, j'ai fait deux années terriblement ennuyeuses avant de partir à Paris et de faire ce que j'aimais réellement.

C'était le point positif de son exil en France. Son père n'était plus là à tout surveiller et contrôler, elle s'était inscrite en secret dans la meilleure école de design de la capitale et voyageait régulièrement jusqu'à Milan, très connue pour ses avancées en terme de mode.

Et toi alors ? Tu as commencé à créer des petites choses ? Kevin t'a transmis un projet ?

Kevin, c'était un de ses meilleurs amis. Ils avaient travaillé ensemble pendant des années dans la même boite, ils étaient inséparables. Il l'amusait autant qu'il l'agaçait avec ses conneries et ses cancans. Disons, que ça l'amusait quand ça portait sur quelqu'un d'autre qu'elle ! Mais quand il se mettait à dire des conneries sur son compte, la brune riait beaucoup moins, et il lui était arrivé plus d'une fois de se prendre un carnet dans la tête ! Il l'avait suivie, quand elle avait créé son entreprise quelques mois plus tôt. Elle ne se voyait pas se lancer seule et les deux créateurs avaient débauché une tierce personne qui s'occupait de tout l'administratif.
 

Son voyage à Paris...Entre ce qu'elle en disait et ce qu'elle y avait réellement vécu, il y avait un monde. Si se retrouver coincée dans la capitale française avait eu l'heur de lui permettre de suivre les études qu'elle voulait, tout cela cachait cependant un terrible secret connu de seulement deux personnes en dehors de ses parents. A Matt, elle n'avait rien dit. A ses meilleurs amis non plus. Seul Enzo et une amie ayant connu le traumatisme de la perte d'un enfant après avoir été brutalisée par son conjoint étaient au courant de tout cela. Mais la version officielle, c'était ça. Des études à l'étranger, ça faisait toujours bien sur un CV, et avec son nom en prime, elle aurait plus facilement des portes ouvertes.

Oui, j'avais tout juste vingt ans, ça s'est décidé un peu sur un coup de tête. J'y suis restée cinq ans, j'ai fait le maximum jusqu'au master comme ils l'appellent là-bas.

Cinq années pendant lesquelles elle n'avait que peu vu sa famille et ses amis, ne rentrant aux États-Unis qu'occasionnellement. Cinq années pendant lesquelles elle avait harcelé le personnel hospitalier de la maternité où elle avait accouché pour avoir des informations. Cinq années vaines, n'ayant jamais réussi à obtenir quoi que ce soit. Sans doute que ces gens avaient été soudoyés par son père pour refuser d'en dire un mot, après tout, ils avaient bien dû comprendre depuis le début que ce n'était pas son souhait à elle. Mais comment dire non à un homme qui père plusieurs millions de dollars et peut vous garantir une vie confortable ?... Alexis s'était resservi un café alors que la jeune fille lui disait être née dans la capitale, elle eut un léger sourire et répondit simplement :

Il me semblait bien avoir entendu un accent familier dans ta façon de parler.

Elle l'observa quelques secondes, en venant à se dire que cette gamine devait avoir à peu près le même age que sa fille, que peut-être, elles se connaissaient. Elle chassa rapidement cette pensée. Paris était une ville immense et il devait y avoir énormément d'écoles, donc peu de chances pour que ce soit le cas. Elle soupira légèrement avant de prendre une gorgée du liquide noir qui se trouvait dans sa tasse.

J'ai appris beaucoup oui, j'allais de temps en temps à Milan également, j'y ai passé tout un été une fois mes études terminées. Je crois que je n'étais pas spécialement pressée de revenir ici.

Elle resta pensive un instant, il était vrai qu'elle freinait des quatre fers à l'idée de rentrée aux États-Unis, de voir son père, et même ses amis qui ne manquaient jamais de la questionner sur son "fabuleux voyage". S'ils savaient... Avec le temps, elle parvenait un peu plus à en parler, sans doute aussi parce qu'elle avait réussi à évoquer la véritable raison de son départ auprès de deux personnes extérieures à sa famille.

Comment ça se fait que tu aies atterri à New-York ? Tes parents ont trouvé un job intéressant ici j'imagine ?

On parlait souvent du rêve américain après tout et Alexis ne pourrait pas nier ce point étant donné que sa famille en était un parfait exemple !
 

Comment réagirait-elle si elle découvrait que Matilda était sa fille ? Elle n'en savait rien. Elle avait imaginé ça mille et une fois depuis seize ans, elle avait vraiment cru qu'elle parviendrait à la retrouver lorsqu'elle était encore à Paris, mais après cinq longues années, elle s'était rendue à l'évidence : son père avait bien tout calculé pour que ça n'arrive pas. Il avait sans doute payé le personnel hospitalier suffisamment pour qu'ils gardent le silence, et toute trace avait été effacée. En tous cas, des traces que quelqu'un comme Alexis n'aurait pas su suivre car une personne véritablement douée en informatique aurait probablement pu trouver les miettes de pain qui menaient à la gamine. A l'époque, internet fonctionnait encore avec un modem bruyant et on avait de la chance d'avoir une page web au bout de cinq minutes de chargement. C'étaient encore les débuts de l'informatique chez les particuliers et Alexis ne s'était jamais trop intéressée à ça en dehors des logiciels nécessaires à son métier. Alors croire qu'avec quelques compétences de hacker, elle aurait pu trouver les réponses à ses questions, ça ne lui aurait même pas traversé l'esprit à l'époque !

Pendant ces cinq années, il y avait eu des bons moments évidemment, tout n'était pas à jeter. Elle avait voyagé, fait des rencontres, visité des musées, découvert d'autres gastronomies. Elle avait appris le français. Elle avait quelques notions d'italien. Elle avait découvert la combinaison, dans une pâtisserie renommée, de la rose, de la framboise et du litchi et avait créé une collection printanière inspirée de cela et qu'elle avait nommée "Ispahan" comme le célèbre macaron. Non, tout n'était pas à jeter même si ce "séjour" lui avait laissé un goût amer. Qu'est ce qui l'avait décidée à revenir ? Elle ne se voyait, en réalité, pas passer sa vie là-bas. Son monde, ses amis étaient à New-York et si elle voulait être parfaitement honnête avec Matilda et avec elle-même d'ailleurs, il y avait surtout une chose qui l'avait poussée à revenir.

Un garçon, répondit-elle avec un petit sourire amusé. Ils s'étaient peu vus pendant ces cinq années mais le contact n'avait jamais été rompu. Aujourd'hui encore, malgré le fait qu'il lui ai brisé le cœur - et qu'il n'ait rien percuté de toutes façons - elle ne pourrait s'imaginer une vie sans Matt. La brune ne s'étendit pas davantage concernant sa réponse car même s'il y avait une pointe d'humour dans celle-ci, il fallait bien avouer qu'il avait été la principale raison de son envie de rentrer aux États-Unis. Lexie l'avait alors questionnée sur son arrivée au pays, et elle découvrit alors que ses parents étaient à l'opposé du continent, en Californie. Il était quelque peu surprenant que ses parents l'aient laissée partir aussi loin d'eux et lorsque la jeune fille commença à expliquer son changement d'établissement, elle se demanda si la môme n'avait pas subi le harcèlement scolaire. Alexis ne savait que trop bien comment cela pouvait se passer, elle même n'avait pas toujours été tendre avec ses camarades, préférant passer pour la peste de service plutôt que de se faire victimiser. Matilda était passée sur le sujet rapidement, reposant une nouvelle question, ce qui laissa penser à Alexis qu'elle n'était peut-être pas dans le faux, mais que le sujet était sensible et que la gamine ne voulait pas en parler. Alors qu'elle s'apprêtait à lui répondre, sa dernière remarque la coupa dans son élan. Elle ne put cacher une légère moue contrariée à l'évocation de la fierté de sa famille. Si sa mère l'avait toujours soutenue dans ses choix, c'était loin d'être le cas de tous, notamment du côté de son père où ils étaient très fermés, et à ne penser qu'à leur empire. La brune décida alors d'éluder le sujet, se concentrant sur la question.

Disons simplement qu'après quelques années à travailler pour une entreprise, on se rend compte que ce sont les patrons les seuls vrais bénéficiaires de notre travail... Je ne parle pas du salaire, c'était très convenable, mais de la création en elle même. Au final, rien n'était véritablement à moi, même si j'en étais la créatrice. C'était leur nom sur mes vêtements. J'ai voulu m'émanciper, être reconnue pour mon travail, et plusieurs personnes m'y ont aidée. Je ne me serais jamais lancée seule. Tu connais déjà Kevin, notre artiste. J'avais besoin d'un gestionnaire, pour tout l'administratif, la comptabilité...Tout ça, ce n'est pas pour moi. Et puis, mon compagnon m'a beaucoup aidée également en développant le site web. A présent, je n'ai plus personne pour me dire quoi faire, et il n'y a plus de rivalités malsaines. C'était devenu pesant.

Elle s'interrompit alors qu'elle avalait sa dernière gorgée de café, jetant le gobelet dans la première poubelle qu'elle croisa.

Il va falloir y retourner si on veut que la prochaine collection soit prête pour la Fashion Week ! D'ailleurs, je serais curieuse de savoir ce que tu proposerais si tu devais créer une tenue pour cet évènement. Cette année, la tendance est sur le thème de l'amour, le rouge notamment, avec des écritures qui semblent calligraphiées à même le tissu. Tu travailles sur une planche à dessin ou une tablette ? Dans tous les cas, il te faudra apprendre à utiliser les deux.
 

Dire que pendant longtemps, Alexis n'avait pas vraiment assumé ses sentiments pour Matt...Elle ne s'en rendait pas bien compte en réalité. Elle pensait qu'ils étaient amis...Avec quelques avantages. Elle avait clairement tout mélangé et il avait fallu qu'une pétasse entre dans l'équation pour qu'elle le réalise. Cette Lana avait fait beaucoup de dégâts chez les jumeaux, car bien évidemment, Matt ne lui suffisait pas... Il lui fallait les deux. Alexis savait rester courtoise et polie en toutes circonstances mais elle ne pouvait cacher qu'elle la détestait, mais ça, c'était son coeur brisé qui parlait car la brune avait bien réussi à dissimuler à quel point elle était fourbe et manipulatrice. Matt s'était éloigné d'Alexis, et Daryl s'était éloigné de Matt... Autant dire qu'elle avait mis un beau bordel dans leurs vies pour au final le laisser tomber comme un moins que rien. Si Alexis avait bien vu dans quel état cette histoire avait laissé Matt, égoïstement, elle avait vu une lueur d'espoir, elle avait réellement cru qu'il reviendrait vers elle une fois ses plaies pansées, mais ce ne fut pas le cas... Il lui avait fallu beaucoup de temps et de volonté pour accepter que jamais il ne la verrait comme elle l'espérait et faire le deuil d'une histoire qui n'avait jamais réellement commencé. Et c'était grâce à cette page tournée qu'elle avait enfin réussi à faire un peu de place dans son cœur pour un autre homme, qui était le parfait opposé de Matt. Lui extirper un sourire ou l'entendre faire un trait d'humour était une chose rare et leur relation avait démarré avec des piques et des provocations. Elle ne le supportait pas et voulait sans cesse avoir le dernier mot. Et lui aussi... Elle ne savait pas trop quand et comment les choses avaient changé mais elle se rappelait de ce qu'elle avait ressenti lorsqu'il s'était approché d'elle dans la salle d'archives, la faisant frissonner avec quelques mots et un simple geste. Au fil des mois, il avait pris de plus en plus de place et Matt avait retrouvé son statut d'ami. Elle avait doucement ri à la réaction de la gamine lorsqu'elle avait évoqué ce "garçon" qui avait été la raison de son retour. Qu'aurait-elle fait si elle n'avait pas eu Matt à New-York ? Peut-être en aurait-elle profité pour fuir cette famille étouffante... La sujet avait dévié sur la création de l'entreprise et plusieurs personnes y avaient participé activement dont Enzo pour le site web. La brune eut un petit sourire lorsque la môme lui avoua que son père était développeur également.

Effectivement, on s'est connus dans le cadre du travail, il était venu remettre à jour le site web de l'entreprise pour laquelle je travaillais à l'époque. Nos logiciels devaient avoir quinze ans, c'était une horreur à utiliser.

La brune avait alors interrogé Matilda sur ses cours, ses projets, et ce qu'elle aurait imaginé pour une collection sur le thème de l'amour. Alexis eut un petit sourire amusé face à son hésitation.

Suis-moi, j'ai un petit quelque chose à te montrer.

Elle l'entraina alors vers la salle de shooting annexant le dressing où se trouvaient ses dernières créations sur ce thème. Face à l'un des portants, la brune attrapa un cintre sur lequel se trouvait une robe satinée blanche, on pouvait y voir quelques cœurs rouges dessus, si petits que l'on pourrait presque les confondre avec des pois, le bas de la robe semblait être fait de pétales de roses rouges, lui donnant l'impression qu'elle était légère, volante.

Je comptais faire une déclinaison sur cette base, jusqu'au petit manteau pour chien je suis sûre que ça peut avoir son succès. Tu vois, ton idée n'avait rien de ridicule. Il ne te reste plus qu'à laisser ton imagination vagabonder pour faire une pièce dans le même style, j'imagine qu'ils vont te demander un projet pour ta fin de stage, ça pourrait être une bonne option. Je dois voir le client après le déjeuner d'ailleurs, pour lui montrer ce qu'on a commencé, si tu veux m'accompagner.